Pédagogie

Ce qu’il faut savoir sur la théorie piagétienne

Le développement intellectuel de l’enfant tel que le propose Piaget reste, malgré ses limites, un point de repère essentiel pour les enseignants qui, au jour le jour, tentent de comprendre comment leurs élèves apprennent. La théorie piagétienne permet en effet de prendre en compte la dimension cognitive et, de là, d’interpréter les difficultés des apprenants en termes d’opérations intellectuelles.

Le développement intellectuel de l’enfant et la théorie piagétienne

Restituer la place de la théorie piagétienne

Il convient cependant de bien resituer la place de la théorie piagétienne dans l’interprétation des difficultés et, peut-être encore plus, dans celle des erreurs commises par les apprenants. L’enseignant, dans sa pratique quotidienne, est confronté à de multiples problèmes qui le conduisent à faire appel à des grilles d’interprétation diverses. Si nous privilégions les aspects cognitifs, il ne faut cependant jamais oublier que les solutions seront d’autant plus pertinentes que l’enseignant pourra croiser des éclairages différents sur les difficultés rencontrées. En d’autres termes, l’enseignant ne peut « saucissonner » l’élève : les aspects affectifs ou sociaux ne doivent jamais être éliminés. Mais, dans cet article, nous insistons sur les aspects cognitifs que l’enseignant peut s’en saisir.

Même si les problèmes cognitifs des élèves ayant été longuement débattus, l’accent a été mis sur les méthodes d’éducabilité, leur mode d’utilisation paraît délicat. En effet, lorsque des enseignants constatent que certains de leurs élèves ont des difficultés pour comprendre et tirer profit de l’enseignement dispensé, faute d’un cadre théorique interprétatif, il leur est bien difficile de trouver des remèdes. C’est là que le cadre piagétien peut servir de point de référence pour discerner l’origine de certaines de ces difficultés. Ainsi, les problèmes proposés en classe, quelle que soit leur nature, nécessitent, pour être résolus, la mise en œuvre d’opérations intellectuelles précises. Si l’élève ne les utilise pas, il sera nécessairement en difficulté. Nous expliciterons les concepts du modèle piagétien qui nous paraissent indispensables dans l’utilisation pertinente de l’analyse cognitive.

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Définir le processus assimilation-accommodation

Ce processus, en tant que modèle d’acquisition des connaissances, permet aux enseignants de bien comprendre comment les apprenants s’approprient de nouveaux savoirs.

L’assimilation correspond à l’incorporation d’éléments extérieurs à une structure ou, comme le dit Piaget, «à une intégration à une structure préalable ». En d’autres termes, l’apprenant entreprend de résoudre une situation nouvelle à partir des modes de raisonnement qu’il domine. Il tente de concevoir le monde qui l’entoure à partir des opérations intellectuelles qu’il est capable d’utiliser. C’est un mouvement du sujet vers l’environnement sans modification de ses propres structures.

L’accommodation correspond à un mouvement inverse. Le sujet modifie sa structure intellectuelle en fonction des modifications du milieu. Les changements de l’environnement entraînent des remaniements dans ses modes de pensée quand il désire incorporer de nouveaux éléments.

Face à une situation nouvelle, l’élève se trouve en situation de déséquilibre, il va donc mettre en œuvre le processus assimilation-accommodation pour retrouver un nouvel état d’équilibre. Il tentera d’abord une assimilation à partir des schèmes en sa possession. C’est ainsi qu’il va essayer de résoudre le problème qui se pose à lui avec les modes de raisonnement qu’il maîtrise. Sa première démarche face à un problème est donc de faire une assimilation. S’il s’agit d’un cas déjà rencontré ou d’une situation qui ne demande pas de modifier ses schèmes, il résoudra le problème et se retrouvera dans son état antérieur. En fait, on peut faire remarquer que ce nouvel état d’équilibre est très légèrement supérieur à celui de départ car plus on pratique un certain mode de raisonnement, plus on sera à l’aise pour l’utiliser dans une circonstance semblable.

Si l’assimilation ne suffit pas…

Mais si l’apprenant ne réussit pas à résoudre le problème posé, il sera contraint d’effectuer une accommodation. C’est-à-dire qu’il modifiera ses structures intellectuelles initiales. Après quoi il aboutira à un nouvel état d’équilibre qui sera supérieur à celui de départ. Il aura effectué, selon Piaget, une équilibration majorante. Ce progrès lui permettra alors d’effectuer de nouvelles assimilations qui, par la suite, lui donneront la possibilité de faire de nouvelles accommodations et ainsi de suite. C’est par ce processus assimilation-accommodation que l’enfant développe ses capacités intellectuelles.

Ainsi, si l’on propose pour la première fois à un enfant un exercice qui nécessite la soustraction, il essaiera en premier lieu de résoudre le problème à partir du schème de l’addition qui est cognitivement inférieur. S’il se rend compte que ce schème est inefficace, il devra faire une accommodation, réaliser que dans ce cas la soustraction s’applique, comprendre qu’elle est l’inverse de l’addition donc mettre en œuvre la réversibilité. Il s’agit d’un saut cognitif considérable mais qui est nécessaire pour faire face à la situation proposée. Même si l’enseignant peut aider l’apprenant à faire ce saut, la compréhension même que la soustraction est l’inverse de l’addition ne peut relever que du seul fait de l’apprenant.

Il faut aussi savoir que si le problème est trop complexe, si l’accommodation nécessaire est irréalisable car trop éloignée de ses possibilités, ou bien l’élève ne le résoudra pas, ou bien il fera un détournement de consigne, c’est-à-dire qu’il transformera la question posée de manière à être capable d’y répondre à partir d’une simple assimilation, stratégie maintes fois utilisée par les élèves en difficulté.

Quelles sont les conséquences pédagogiques de ce processus ?

Tout d’abord, l’élève ne faisant, dans un premier temps, qu’une simple assimilation, risque de se tromper, de ne pas anticiper suffisamment la réponse. Il faut lui laisser le temps de cette assimilation, et donc accepter l’erreur à la condition de la situer comme un passage nécessaire au développement des connaissances. L’erreur, dans ce cadre, n’est plus à combattre, encore moins à éliminer, elle devient un indice d’un moment de l’apprentissage.

En second lieu, il faut permettre à l’élève de faire une accommodation et, pour cela, lui offrir les conditions adaptées à cette mise en œuvre. L’une d’elles correspond au statut que l’enseignant doit attribuer à l’élève lui-même : celui d’acteur du processus car c’est à lui de faire cette accommodation. L’enseignant est là pour l’aider, pour lui donner des indications. Mais, en fin de compte, seul l’apprenant peut aboutir à l’équilibration majorante. L’enseignant ne peut être qu’un facilitateur. Il ne peut en aucun cas faire à la place de l’élève. Cette remarque n’est pas sans importance car elle implique que l’enseignant n’est pas celui qui fournit la solution. En revanche, c’est celui qui propose des aides permettant à l’apprenant de trouver quelles sont les questions qu’il doit se poser.

Nous insistons sur le fait de ne pas donner la solution non seulement dans une perspective liée aux pédagogies nouvelles, mais aussi en référence au processus assimilation-accommodation. S’il désire que ses élèves procèdent à des accommodations, l’enseignant ne peut se contenter de leur proposer un modèle de résolution. C’est aux élèves de le trouver par eux-mêmes.

la théorie piagétienne institutrice

Les stades du développement intellectuel

Rappelons ici que la théorie piagétienne décrit le développement intellectuel en quatre stades :

  • le stade sensori-moteur : de la naissance à 1,5-2 ans,
  • le stade préopératoire : de 1,5-2 ans à 7-8 ans,
  • stade concret : de 7-8 à 11-12 ans,
  • le stade formel : de 11-12 ans à 15-20 ans.

Notre objet n’est pas ici de décrire la théorie piagétienne mais de l’utiliser au plan pédagogique. Cependant, nous utiliserons comme points de repère les caractéristiques des différents stades telles que Piaget les a décrites. Elles nous serviront, en effet, à déterminer le niveau cognitif des tâches à analyser. Nous allons donc les décrire succinctement.

  • Stade sensori-moteur. Sa caractéristique essentielle est la résolution des problèmes par l’action, sans qu’il y ait une représentation de celle-ci. Ce stade ne concernant pas les enfants scolarisés.
  • Stade préopératoire. Il est marqué par l’apparition de la représentation et de l’image mentale. L’enfant voit mentalement ce qu’il évoque. Sa pensée devient plus mobile mais n’est pas encore réversible. Il est centré sur les états et non sur les transformations. À ce stade, l’enfant est égocentrique, c’est-à-dire qu’il ne différencie pas son propre point de vue de celui des autres. Si par exemple vous mettez devant lui une gomme en premier plan et une trousse en deuxième plan, il n’arrive pas à imaginer qu’un autre enfant placé en face de lui voit la trousse en premier plan et, de ce fait, ne voit pas la gomme (en supposant bien entendu que la trousse cache la gomme).

Stades concret et formel, surgir la réversibilité et la pensée hypothético-déductive

  • Stade concret. Il est caractérisé par la réversibilité, c’est-à-dire la capacité d’annuler mentalement une action, sans avoir besoin d’effectuer des manipulations. C’est ainsi que si on présente deux petits récipients identiques A et B à un enfant, qu’on lui demande d’y mettre la même quantité d’eau puis de verser le contenu du récipient B dans un verre C plus étroit, il sera capable de dire que les récipients A et C contiennent la même quantité d’eau en donnant comme argument que l’on peut reverser le contenu du récipient C dans B et qu’on retrouvera le même niveau. Il met en œuvre la réversibilité. Ce qui est remarquable, et qui caractérise l’accession au niveau concret, est qu’il n’éprouve pas le besoin de manipuler les récipients, il devient capable d’effectuer cette action mentalement.
  • Stade formel. Sa caractéristique essentielle est que le réel n’est qu’un cas particulier parmi les possibles, ce qui peut se traduire par : est possible tout ce qui n’est pas contradictoire avec l’énoncé. On voit également surgir lors de ce stade la pensée hypothético-déductive. C’est-à-dire la capacité à faire des hypothèses et à les vérifier. Une autre caractéristique qui nous intéresse est, qu’à ce niveau, le sujet devient capable de faire des opérations sur des opérations. Par exemple, il ne classe plus simplement des jetons, mais classe les classes de jetons.

Utiliser la grille des stades de la théorie piagétienne en pédagogie

L’utilisation pédagogique du modèle piagétien permet de repérer les types d’exercices qu’il est possible de choisir en fonction du niveau cognitif des élèves et d’accomplir un ajustement entre les deux dimensions que sont le niveau cognitif requis par les exercices et celui maîtrisé par les élèves. Mais cette mise en rapport suppose, d’une part, la connaissance du niveau cognitif des élèves et, d’autre part, la détermination des opérations intellectuelles en jeu dans l’exercice proposé. Même si, bien entendu, cet ajustement ne peut être le seul critère à prendre en compte, il est précieux pour l’enseignant qui pourra ainsi choisir les exercices les plus adéquats.

De manière plus large, les stades peuvent servir eux-mêmes de jalons dans l’élaboration d’un programme. En effet, ils ont des caractéristiques générales qui sont autant d’indices pour l’enseignant. Prenons l’exemple du stade concret : sa principale caractéristique est la réversibilité. Si, dans un exercice, il s’avère que cette notion est nécessaire, on situera, par ce fait même, le niveau cognitif requis pour sa résolution. De la même manière, si, par exemple, l’enseignant s’adresse à des élèves de CM2, sachant qu’ils en sont, pour la plupart, au tout début de l’élaboration des opérations femelles, il lui faudra veiller à ce que les exercices ne fassent pas trop appel à ce niveau pour leur résolution.

L’enseignant pourra également utiliser ce même critère de la théorie piagétienne pour prévoir le lieu des difficultés des élèves. En effet, l’analyse cognitive d’un exercice va lui permettre de connaître l’étape qui requiert le niveau cognitif le plus élevé. Il se servira de cet indice pour prévoir les aides adéquates qui permettront de surmonter les obstacles. La grille des stades piagétienne permet donc ainsi une anticipation des difficultés que vont rencontrer les apprenants.

Interpréter les erreurs à partir de la grille de la théorie piagétienne

La grille des stades de la théorie piagétienne permet également l’analyse des erreurs. En effet, l’interprétation des erreurs d’un élève donné ou d’un groupe d’élèves est une des grandes difficultés auxquelles se heurtent les enseignants, d’autant qu’il leur est souvent nécessaire de faire cette analyse « à chaud », au cours même de l’exercice. Bien que, une fois encore, il ne convienne pas de n’envisager que le seul point de vue cognitif, il importe d’avoir constamment en tête cette possibilité d’interprétation des réponses, lesquelles peuvent parfois apparaître surprenantes. Ces erreurs servent alors d’indicateurs du type de difficultés de l’élève et sont des indices indispensables pour mettre en place une remédiation adéquate.

Mais cette analyse des erreurs nécessite souvent l’interrogation de l’élève. En effet, puisque l’on s’intéresse au processus mis en œuvre, la trace écrite, même si elle permet de recueillir des indications, n’est pas toujours suffisante pour déduire les modes de raisonnement sous-jacents que l’apprenant a utilisés. D’ailleurs, même une bonne réponse ne permet pas de conclure que l’élève a employé le niveau cognitif requis par l’exercice. On ne peut déduire la compétence de la seule performance. L’enseignant doit donc interroger l’élève et, dans ce but, utiliser la méthode clinique piagétienne. Demander aux élèves non seulement de justifier leur réponse mais aussi de décrire leur cheminement pour arriver à la solution est souvent très révélateur de leurs difficultés. Cette démarche peut apparaître à bien des enseignants comme trop contraignante à effectuer au sein d’une classe. Mais il peut se trouver des moments, à l’occasion de travail en petits groupes ou en ateliers, où une telle possibilité existe. Il est également possible de demander à un élève d’expliciter son cheminement devant l’ensemble des autres élèves, même si cette formule peut s’avérer plus délicate.

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