Comment inciter nos élèves à tenir un rythme de lecture ?
Seul moyen de préserver le plaisir de lire et de créer une relation authentique avec les textes, la lecture et l’étude d’œuvres intégrales jouent un rôle essentiel dans l’incitation des élèves à tenir un rythme de lecture enrichissant et fructueux tout au long de l’année.
La répartition des lectures sur l’année
Les œuvres courtes comme les nouvelles ainsi que les articles de journaux qui, dans la mesure où ils forment un tout indépendant, sont en quelque sorte des œuvres intégrales, peuvent être programmées sans prise en compte du temps de lecture nécessaire hors de la classe. Il n’en est pas de même pour les romans, dont le temps de lecture, très variable selon le nombre de pages et le rythme de lecture des élèves, peut parfois se chiffrer à plusieurs dizaines d’heures.
Aucun pédagogue averti n’aurait l’idée de concentrer l’étude du roman sur deux mois de l’année. Pendant cette période, les élèves auraient à passer un temps considérable à lire. Tandis que le reste de l’année, consacré à des œuvres courtes, ils se libèrent de tout effort de lecture. Le professeur doit équilibrer le temps de lecture des élèves en fonction de leurs capacités. Tout au long de l’année, il les oblige ainsi à tenir un rythme de lecture.
Dans la vie de l’élève alternent des périodes de cours et de travail intensif avec des semaines de vacances. Certains professeurs programment à chaque retour de vacances toutes les activités et travaux impliquant un effort de lecture. Il vaut mieux éviter d’imposer aux élèves en lecture personnelle des pièces de théâtre. On les réservera pour une étude vivante en classe de façon à préserver la dimension sociale de l’art dramatique et plus particulièrement du comique.
Ainsi, la programmation des lectures ne peut se conformer aux prescriptions d’une didactique rationnelle. Ceci quand elle se calque sur le rythme de vie des élèves. Si l’on répartit la lecture des romans tout au long de l’année en fonction des vacances. Ceux qui ne lisent pas spontanément y sont poussés quand ils disposent de temps. Et non à des périodes où ils sont débordés de travail.
Accompagner les élèves suivant leur rythme de lecture
Toutefois, même avec une bonne répartition des lectures sur toute l’année, on ne parvient pas toujours à vaincre la résistance des élèves à la lecture d’œuvres longues. C’est pourquoi, plutôt que d’imposer avant toute étude la lecture préalable du roman contrôlée par une interrogation écrite, dans un esprit de sanction impropre à donner le goût de la littérature, certains pratiquent une lecture progressive et accompagnée des romans les plus longs, moins rebutante pour les mauvais lecteurs que celle du roman entier ressenti comme un «pavé». A raison d’un nombre de pages minimum défini chaque semaine, l’œuvre est lue et étudiée par étapes.
Bien sûr, cette planification n’est pas orthodoxe. Ceci dans la mesure où elle ne permet pas de mettre en place une analyse rationnelle du roman dans sa globalité. Elle oblige à rejeter les études d’ensemble en fin de parcours : structure du roman, symétries et progressions, opposition des situations initiale et finale, évolution des personnages et de leurs relations. Mais cette façon de progresser ensemble au cœur du roman apporte un soutien aux élèves dans leur lecture. Certes, elle les motive en stimulant à chaque étape leur curiosité pour les épisodes suivants.
Ainsi, même les retardataires qui n’ont pas réussi à lire intégralement la première partie imposée ne décrocheront pas. Le roman lu naturellement sous forme d’un feuilleton qu’on suit avec plaisir. Ce type de programmation qui poursuit d’abord l’objectif de faire lire effectivement une œuvre longue à des élèves qui ne lisent pas spontanément ni même sous la contrainte, s’écarte sensiblement des progressions didactiques théoriques. Mais c’est pour mieux prendre en compte les résistances des élèves à la lecture.
Une littérature plus simple pour les élèves en difficulté pour aboutir à un rythme de lecture satisfaisant
Dans certaines classes de collège où les élèves sont en grande difficulté de lecture, les professeurs puisent, pour recréer une relation avec les livres, dans la littérature de jeunesse la plus simple ordinairement utilisée à l’école primaire. Ou bien, ils utilisent des manuels prévus pour un niveau différent. Pour travailler avec des classes faibles, certains professeurs de collège ont recours par exemple à des manuels comportant des nouvelles intégrales faciles. Toutes les progressions soigneusement élaborées sur la théorie du texte narratif, poétique, argumentatif, s’écroulent comme de beaux châteaux de cartes. Tandis que le professeur tente de répondre aux véritables besoins des élèves en matière de lecture et à la demande de la société : apprendre à lire en comprenant mieux. Alors, tout naturellement, comme on enlève un costume d’apparat trop raide pour retrouver sa liberté de mouvement. Le professeur se détache des constructions didactiques trop formelles.
La prise en compte des réactions des élèves dans la lecture accompagnée
Une lecture méthodique prend comme point de départ les premières réactions des élèves. Or le professeur ne sait pas en entrant en classe quelles vont être leurs réactions. Pourtant, ces réactions commandent le travail d’investigation sur le texte. Les professeurs novices trouvent très inconfortable cette incertitude. Ils sont particulièrement désorientés quand, après avoir lu le texte, les élèves se trompent radicalement sur sa signification. Il est important de pouvoir anticiper les contresens probables de façon à « rebondir » rapidement. Et ce en mettant en place des pistes qui conduisent les élèves à remettre en question leur première hypothèse.
Toutefois il faut bien distinguer les contresens dont le lecteur est seul responsable, qui obligent à revenir avec plus de précision sur la syntaxe et le vocabulaire, de ceux résultant de l’ambiguïté du texte voulue par l’auteur. Ces derniers proviennent plutôt d’une lecture incomplète. Les élèves n’ayant vu qu’une seule face du texte au lieu de deux, et appellent un traitement pédagogique différent. Il ne faut pas priver les élèves de découvrir par eux-mêmes la face du texte qui est dans l’ombre. Une telle exploitation pédagogique en deux temps, dont l’ordre dépend des réactions des élèves, peut convenir à beaucoup d’œuvres où l’on retrouve une dualité. Et où la face sinistre se trouve dissimulée sous un voile lumineux. C’est le cas par exemple du «Dormeur du val» de Rimbaud dans lequel le champ lexical insistant du sommeil vise à nier la mort le plus longtemps possible.
Analyser l’horizon culturel du texte
On peut aussi adopter ce genre de démarche pour les textes ironiques ou humoristiques quand les élèves les prennent au premier degré. Un professeur novice n’imagine pas toujours que le texte sur l’esclavage des nègres tiré de L’Esprit des lois de Montesquieu est ressenti dans certaines classes comme l’œuvre d’un écrivain raciste. Il faut aider les élèves à percevoir l’ironie en les incitant d’abord à analyser les arguments pour faire apparaître leur faiblesse et leur incohérence. Ils seront persuadés de l’inconsistance et du ridicule de l’argumentation. Alors ils seront en mesure de comprendre qu’un philosophe des Lumières n’avait pu l’écrire que pour dénoncer par la dérision l’absurdité du discours des partisans de l’esclavage.
Ici, l’horizon culturel du texte est une clé pour la compréhension. En fait, la bêtise d’une argumentation inconsistante et décousue n’est pas en soi un gage d’ironie si l’on ne dispose pas par ailleurs de repères sur l’auteur, le mouvement des idées, le contexte historique, les enjeux de références morales.
Enfin, le professeur doit disposer, pour la lecture accompagnée, d’une planification souple de la séance. Les étapes comprises peuvent s’inverser pour se mettre en phase avec les réactions des élèves. Ainsi, il parviendra beaucoup plus aisément à placer l’élève au cœur d’un rythme de lecture très enrichissant et fructueux.