Les conduites argumentatives sont une forme de conduite langagière, dont la finalité est de faire partager ou modifier des représentations. Argumenter implique à la fois des opérations langagières spécifiques (l’utilisation de certaines marques linguistiques) et des opérations cognitives, telles que la capacité à se décentrer et à considérer le point de vue d’autrui.
Aspects généraux de l’argumentation
Les enfants et les adultes ont souvent à argumenter. Obtenir l’autorisation de se coucher plus tard, ou l’accord d’un copain dans une opération de troc pendant la récréation, convaincre son supérieur hiérarchique que vous méritez une augmentation de salaire, ou persuader une petite amie de poursuivre la soirée avec vous, correspondent à autant de situations différentes où il faut utiliser des conduites argumentatives.
Comment s’organise le discours du locuteur dans ces situations ? Deux opérations peuvent être distinguées : la justification et la négociation. La justification est la compétence à fournir un argument à l’appui d’une prise de position. C’est ainsi la structure minimale de l’argumentation, qui nécessite le respect de deux procédés : l’étayage et la recevabilité. L’étayage amène à rendre crédible l’énoncé par un autre énoncé, sous la forme d’une relation de causalité, de finalité ou d’exemplification. Le locuteur est ainsi amené à une prise en charge de l’énoncé, qui consiste à mettre une distance plus ou moins grande entre lui et son discours, par des marques comme « je pense », et à fournir des arguments factuels.
Le locuteur doit également rendre recevable un argument pour le rendre acceptable par l’interlocuteur. Il emploie des arguments d’ordre général, et ne se limite plus à l’utilisation d’exemples personnels. Il rend l’objet de son discours négociable, car il se réfère à des valeurs socialement reconnues, en présentant des faits attestés. La négociation permet d’ouvrir la conversation. Il ne s’agit plus d’énumérer des arguments. Mais de construire son argumentation en tenant compte des contre-arguments de l’interlocuteur. Cette construction se développe à travers un échange avec modifications, restrictions ou spécifications, où il s’agit davantage de convaincre que de persuader l’interlocuteur, de telle sorte qu’il n’ait plus d’objections.
Le développement des conduites argumentatives
À partir de quel âge les enfants sont-ils capables d’argumenter ? Comment se développent les conduites argumentatives ? Dès 3 ou 4 ans, les enfants peuvent utiliser des formes argumentatives comme l’insulte ou la menace. Notamment pour résoudre des conflits, justifier leurs besoins ou leurs désirs. Vers 5 ans, ils commencent à utiliser les opérations de justification, en intégrant des éléments factuels, en énumérant des faits. Vers 6 ans, la compréhension des règles conversationnelles s’améliore nettement. Le jeune locuteur commence à s’engager dans son énonciation et émet plus de jugements. Vers 9 ans apparaît une véritable coopérativité argumentative. L’enfant considère à la fois son propre point de vue et celui de son interlocuteur, afin de construire un référent commun.
Ce ne serait pas avant 13 ou 14 ans que les arguments viseraient l’acceptabilité dc l’interlocuteur. Ce en adaptant le contenu du discours aux caractéristiques de l’interlocuteur (statut, familiarité, compétences ou intérêts).
Argumenter véritablement, c’est tenir compte des contre-arguments d’autrui. Donc prendre du recul par rapport à son propre discours. Se décentrer, ce qui suppose un certain niveau de développement cognitif. On a pu observer qu’à partir de l’âge de 4 ans, les enfants sont capables de s’adapter à leur interlocuteur, de tenir compte de son âge (ils ne parlent pas de la même façon à un enfant plus jeune et à un enfant plus âgé), de ses savoirs, de ses désirs et de ses intentions. Ils commencent à avoir une théorie de l’esprit. Ils peuvent se représenter qu’autrui pense, et qu’il peut penser différemment d’eux. Bien sûr, il s’agit là des premières étapes du développement de la théorie de l’esprit. A cet âge, les enfants ne sont pas encore capables de se représenter toutes les représentations d’autrui.
En résumé…
Certes, il est difficile pour un jeune enfant de comprendre ce qui est discutable et ce qui ne l’est pas. Il faut comprendre en fait avec qui on peut argumenter et avec qui on ne peut pas. On conçoit ainsi que le développement des conduites argumentatives est dépendant à la fois du développement cognitif et de celui des compétences sociales. Des prochains travaux devraient contribuer à préciser l’articulation entre ces différents aspects.