L’activité cognitive et son rapport avec la parole
Sans entrer dans des considérations théoriques trop complexes, il est possible de distinguer différentes manières d’envisager l’acquisition du langage et le rapport entre le langage et l’activité cognitive chez l’enfant.
Comment se construit la pensée ?
En fait, Les implications des conceptions de Vygotsky et de Bruner pour la conduite des apprentissages, non seulement dans le domaine de la langue, mais aussi dans les autres disciplines, sont riches. Ces travaux de psychologie reposent sur l’idée que le langage est un fait social. Autrement dit que le rôle de l’être humain dans la construction des compétences langagières de l’enfant est fondamental. Sans la médiation de celui qui sait parler parent, enseignant ou frère plus âgé ; l’enfant ne peut pas apprendre à parler. Autrement dit, les échanges langagiers oraux permettent au langage de s’élaborer grâce à une stratégie spécifique de l’expert pour aider son apprenti.
L’autre dimension importante de ces théories concerne les outils intellectuels, c’est-à-dire la dimension cognitive et culturelle. Là encore, la transmission des modes de pensée propres à une culture s’effectue grâce aux échanges verbaux, dans la famille. Mais surtout à l’école selon Vygotsky. Cette conception donne donc un rôle fondamental aux enseignants, à l’entourage humain de l’enfant apprenant.
Quels sont les outils intellectuels de l’activité cognitive ?
Il s’agit des modes de réflexion, des démarches intellectuelles, de tout ce qui structure la vie cognitive, intellectuelle, culturelle. Prenons par exemple le cas concernant la conduite du récit, qui suppose la maîtrise en particulier de la structure narrative. C’est à force d’entendre des histoires, donc par imprégnation, que l’enfant finit par s’approprier le schéma narratif. Mais il est possible aussi de considérer que cette conduite se construit dans l’interaction avec un adulte.
Ainsi, dans les familles où l’on s’intéresse à ce que dit l’enfant, où on a le temps de s’occuper de ce qui lui arrive, le scénario suivant se déroule quotidiennement. L’enfant rentre à la maison en disant : «Je suis tombé. » La mère ou l’adulte présent lui dit : « Où es-tu tombé ? Qui t’a poussé ? » Par ses questions, il aide l’enfant à enrichir son récit. Simultanément, ces questions manifestent une attente de nature sociale, culturelle de l’interlocuteur par rapport aux productions verbales de l’enfant, attente que l’enfant devient capable de prévoir. Les situations d’échanges répétées, à la fois semblables et nouvelles, permettent une intériorisation de la structure que l’on attend de lui quand il raconte. Il n’a plus besoin des questions pour le guider. De lui-même, il précise les circonstances, le dénouement et ajoutera son commentaire sur les faits rapportés grâce à l’activité cognitive.
Ce scénario est transposable aux actes de langage attendus par l’école dans les diverses activités qu’elle propose. C’est surtout avec les jeunes enfants que la verbalisation et l’échange oral jouent un rôle important. Ensuite, les élèves, du moins ceux qui participent dans les activités proposées utilisent ce qu’ils ont intériorisé et le transfèrent à des situations complexes. Cependant, la stratégie de la médiation par l’oral reste efficace pour des situations plus complexes et avec des élèves en difficulté.
Emettre des hypothèses pour résoudre des problèmes
Émettre une hypothèse est d’abord un acte langagier peu familier aux enfants dans la vie courante. C’est particulièrement à l’école que cet acte est requis. Il est cependant mal maîtrisé, même par des élèves de lycée. Sans doute parce que non travaillé en tant que tel. Mais une hypothèse est aussi une activité cognitive complexe. L’aspect langagier et l’aspect cognitif sont difficiles à dissocier. Et nous avons choisi de considérer avec la prudence qui s’impose que, quand l’enfant modifie sa formulation, c’est aussi qu’il modifie un objet cognitif. La reformulation a à voir avec la réflexion sur le langage. La situation mise en place, par exemple, au cœur d’un projet en science, repose sur les échanges verbaux entre enfants et avec l’enseignant. C’est grâce à cette intense activité orale que l’hypothèse se construit comme acte langagier et cognitif.
En plus, la parole permet la construction de démarches intellectuelles. En particulier lorsqu’elle s’appuie sur la résolution de problème. Ce travail met en œuvre des temps de vérification des hypothèses, de validation et de généralisation. L’analyse de ce travail montre la place et la fonction de l’oral dans l’apprentissage de la résolution de problème. Il s’agit de différencier l’oral en situation, incontournable point de départ, dont la fonction est essentiellement de décrire, et l’oral hors situation, dont le rôle varie suivant sa place dans la démarche. D’abord mémoriser, témoigner. Puis analyser et comprendre. Cette analyse illustre comment l’oral favorise le passage de l’agi au raisonné et du vécu à l’anticipé.