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Les compétences transversales préoccupations et réponses

Au début, on peut donner des compétences transversales une définition provisoire en disant qu’il s’agit de savoir-faire ou de dispositions qu’on pourrait repérer ou tenter de construire chez les élèves. Et qui seraient communs à plusieurs disciplines ou, du moins, qui ne seraient pas spécifiques à telle ou telle. Mais on voit aussitôt que le caractère volontairement évasif et prudent de cette définition signale plus les problèmes qu’il ne les résout.

Ainsi, on parie de « repérer ou construire », car il faut se demander si de telles compétences transversales sont données, ou bien engendrées par une maturation psychologique. Ou produites par l’exercice des différentes matières scolaires. Ou bien encore si elles doivent être élaborées à travers des activités qui leur soient propres. De même on dit « savoir-faire ou disposition » pour réserver la question de la nature de la compétence. Le terme de disposition évoque une organisation interne du sujet. Alors que « savoir-faire » pourrait désigner plutôt les effets externes de celle-ci.

En effet, définir une compétence transversale comme ce qui est commun à plusieurs disciplines, c’est rester dans le champ clos des matières scolaires. Tandis que la définir comme « non spécifique », c’est envisager la possibilité que tout en n’existant que dans une matière. Elle puisse s’en détacher pour être mise en œuvre dans des pratiques extérieures à l’école.

Ces difficultés et ces incertitudes que fait apparaître une approche encore très approximative de la notion conduisent à s’étonner de l’engouement qu’elle suscite. Mais, ce qui explique son succès, c’est qu’elle répond à un ensemble de préoccupations très fortes et très urgentes que ressentent les enseignants dans l’exercice de leur métier.

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Problème des prérequis

Toute discipline scolaire comporte des tâches qui lui sont propres. Celles-ci requièrent des compétences que cette discipline est en mesure de transmettre. Mais chacun sait bien qu’elles exigent en même temps un grand nombre de compétences que la discipline ne peut faire acquérir parce qu’elles lui sont extérieures. Ainsi faut-il savoir manipuler les pourcentages pour lire des tableaux en géographie. Savoir calculer la dérivée d’une fonction pour résoudre certains problèmes de physique. Dans ces exemples et bien d’autres, l’enseignant s’attend à ce que les élèves abordent la tâche proprement disciplinaire en maîtrisant un grand nombre de compétences très diverses, complexes ou élémentaires. Il estime ne pas avoir lui-même à transmettre parce qu’elles ne sont pas spécifiques de sa discipline. Ou car il ne sait pas les faire apprendre ou encore car il n’en a pas le temps.

La notion de compétence transversale permet alors de dénommer ce qui manque aux élèves pour que le spécialiste d’une discipline puisse intervenir efficacement. Toutefois, deux catégories de compétences apparaissent :

  • Il y a d’abord des compétences qui, exigées par les tâches d’une discipline, sont enseignées par d’autres. Ainsi en va-t-il des compétences syntaxiques et orthographiques ou de la capacité à lire efficacement. Ne sont-elles pas plutôt des compétences disciplinaires. Même si elles sont utilisées après coup dans d’autres disciplines que celles en lesquelles elles ont été forgées ? Pourtant, les enseignants répètent à l’envi que les élèves ne pensent jamais à utiliser dans une matière ce qu’ils ont appris dans une autre.
  • Il y a une deuxième catégorie. Celle des compétences transversales dont la construction ne paraît relever d’aucune discipline. Parmi elles, il y a celles qu’on appelle parfois « méthodologiques ». Savoir se servir d’une table des matières, savoir organiser son travail, etc.

Compétences transversales et transfert

Au cœur de l’intérêt pour les compétences transversales, il y a l’énigme du transfert. Pourquoi tant d’élèves qui réussissent dans les situations où ils ont appris, sont-ils incapables de transférer leur manière de faire à des activités légèrement différentes, relevant pourtant de la même discipline ? Tous les enseignants ressentent d’une manière vive cette difficulté. Une compétence, pour être digne de ce nom, doit pouvoir être mise en œuvre dans d’autres situations que celles au sein desquelles elle a été apprise. En ce sens, toute compétence véritable est « transversale » par rapport à une gamme de situations.

On s’étonnera peut-être de voir là le mot « transversal » utilisé pour désigner une compétence propre à des activités internes à une même discipline. Ce qui crée l’habitude de ne voir de transversalité qu’entre les disciplines. C’est que celles-ci constituent des unités organisationnelles consacrées par l’histoire du système éducatif. Dans l’enseignement secondaire, elles relèvent de professeurs spécialistes et des didactiques distinctes se construisent pour chacune. Mais il est déjà moins sûr qu’elles aient toutes une unité épistémologique. Surtout, en ce qui concerne les opérations mentales mises en jeu, rien ne prouve que les frontières entre les disciplines constituent des limites pertinentes. Du point de vue de la psychologie cognitive, le transfert de compétence d’une activité à une autre au sein d’une même discipline n’est pas nécessairement moins problématique que le transfert d’une discipline à une autre.

Ainsi pensée, la difficulté qu’ont tant d’élèves à transférer invite à construire par tous les moyens des compétences transversales par rapport aux situations d’apprentissage. Et, en même temps, fait sérieusement hésiter sur leur possibilité.

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La question de l’utilité de l’école

Le souci premier des enseignants est sans doute de faire acquérir les compétences qui correspondent aux exercices scolaires. Mais, en même temps, ils ont tous au fond d’eux-mêmes l’idée que ce qu’ils enseignent doit bien, d’une manière ou d’une autre, modifier l’enfant ou l’adolescent, le faire grandir, le faire progresser ou l’améliorer. Même si l’on ne sait pas précisément comment cela se fait ni en quoi cela consiste.

Certes, quelques matières peuvent prétendre à une utilité sociable très assignable. Chacun reconnaîtra qu’il est socialement indispensable de savoir lire ou de savoir compter. Mais très vite ces mêmes matières introduisent des connaissances dont l’usage est infiniment plus incertain. A quoi cela peut-il servir dans la vie de savoir démontrer un théorème de géométrie ? Alors la tentation est forte de présumer que chaque matière engendre chez l’élève des capacités qui la dépassent. Capacités difficiles à préciser mais qui contribueraient à former l’esprit, à construire la personnalité et, par là, prépareraient à la vie. C’est là un des présupposés fondamentaux de notre système éducatif.

Ce mythe fondateur de l’école s’incarne aujourd’hui dans la notion de compétences transversales. Mais la nouvelle figure qu’il prend ainsi invite à dépasser la simple croyance. A faire l’inventaire de ces éléments transversaux et à s’interroger sur leur nature.

L’échec scolaire et les compétences transversales

La croyance que les matières scolaires engendrent des capacités intéressantes est constamment mise en doute par la réalité de l’échec scolaire. Est-on sûr que l’apprentissage de la biologie, de la grammaire, de la géographie développe la capacité à être attentif ? On pourrait supposer tout autant qu’elle la requiert. Il ne faut pas confondre produit et prérequis. Le fait est que certains élèves, malgré l’incessante réitération de la tâche, ne parviennent jamais à être attentifs. Les effets de tels apprentissages sont foncièrement inégalitaires. Confrontés aux mêmes tâches, certains élèves réussissent et d’autres échouent. Comme si ce n’était pas la tâche qui, par elle seule, engendrait telle compétence.

On ne peut, dès lors, éviter de se demander si les élèves qui réussissent dans cet apprentissage n’ont pas acquis préalablement les capacités générales qui sont indispensables à son succès. Bien que rétrospectivement elles apparaissent comme ses effets. Il y aurait donc bien, extérieures aux disciplines scolaires, des compétences qui en conditionnent l’apprentissage sans en être le produit.

Si les recherches sociologiques permettent de signaler globalement ces compétences implicites et de dénoncer leur inégale détention. Il n’est pas de leur fonction de dire quelles elles sont. C’est là que la pédagogie prend le relais. La notion de compétences transversales peut être l’explicitation en termes pédagogiques de ce que les sociologues désignent sous le nom d’habitus. La notion de compétence transversale remplit bien des offices. À énumérer les préoccupations si diverses et si obsédantes auxquelles elle répond, on comprend l’intérêt qu’elle suscite. Mais en même temps et pour les mêmes raisons, elle ne peut qu’éveiller l’inquiétude critique.

Pour conclure…

Ainsi, il est facile de voir qu’au sein des préoccupations qui viennent d’être évoquées et qu’elle est censée résoudre. La notion de compétences transversales occupe des fonctions opposées et peut-être contradictoires. En effet, dans le problème de l’échec scolaire comme dans celui des prérequis. On appelle « compétences transversales » ce que les élèves devraient posséder pour profiter des disciplines scolaires. Quand, en revanche, on rappelle que dans un apprentissage réussi la compétence doit avoir un caractère d’emblée transversal. Et que les exercices scolaires doivent, pour avoir un sens, engendrer des compétences qui les dépassent et soient utiles à la vie. La compétence transversale désigne plutôt ce que les disciplines doivent produire. Dans les premiers cas, les compétences transversales sont en deçà des disciplines, dans les autres, elles sont au-delà. On a là un premier signe d’instabilité conceptuelle.

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