Education

L’éducation entre la formation et/ou la reconnaissance du sujet

Obtenir des enfants une autonomie tout en gagnant leur sympathie. Stupéfiant projet mais si commun dans toutes les situations éducatives, qu’elles soient familiales, sociales ou scolaires. L’éducation doit-elle préparer l’enfant, par l’autorité de la transmission culturelle, à l’accès à la citoyenneté. Ou bien, au contraire, doit-elle reconnaître a priori l’enfant comme un pair; un sujet avec qui engager une rencontre qui, seule, rendra possible l’accès à la culture. Un tel problème à traiter, nous semble-t-il, à deux niveaux : le niveau psychologique et le niveau pédagogique.

éducation sujet

Plan psychologique

Sur le plan psychologique, un des raisonnements supposerait une définition stabilisée de la maturité qui, dès lors qu’elle sortirait de l’arbitraire juridique, érigerait à nouveau des individus en experts souverains des capacités de citoyen des autres. Ce raisonnement postulerait de plus que l’individu peut, à un moment donné, être décrété définitivement « sujet »; libéré de tous ses préjugés et de toutes ses passions, adulte enfin, et pour toujours. Or, une telle description est contraire à ce que nous apprennent les chercheurs sur le développement ininterrompu de la personne; ses régressions possibles et les écarts considérables d’un individu à un autre. De plus, elle interdirait l’exercice d’activités d’aide, d’éducation et de soutien auprès de ceux qui souffrent de se vivre en situation de dépendance affective, professionnelle ou sociale; sous le prétexte que ces individus sont des adultes censés avoir définitivement atteint leur majorité.

Symétriquement, elle bannirait ou, au moins, suspecterait l’expression de ceux qui, non encore reconnus comme adultes; auraient pourtant des choses importantes à dire aux adultes eux-mêmes. La parole d’un enfant de cinquième dénonçant les sévices de ses parents ou de ses éducateurs ne pourrait pas être entendue puisque les adultes en question seraient considérés comme déjà introduits dans « le monde » qu’ils assument et connaissent. Tandis que l’enfant, ignorant ce monde et ses véritables intérêts, ne pourrait être pris au sérieux.

Plan pédagogique

Sans doute, la dimension pédagogique de la question est la plus délicate. A celui qui prétend que l’enfant est déjà un sujet et qu’il doit être d’emblée entendu et reconnu comme tel. Il est facile de répondre que c’est un sujet bien démuni. Et que l’adulte choisit à sa place l’essentiel de ce qui va contribuer à le construire. L’adulte choisit la langue, les valeurs, les études dans lesquelles l’enfant sera élevé. Bref, il décide bien, quoi qu’il en dise, d’introduire l’enfant dans un monde. Un monde qui est bien celui de l’adulte qui l’assume avec une autorité dont l’enfant ne peut juger du bien-fondé, puisqu’il n’a pas encore subi une éducation.

Mais, réciproquement, à celui qui prétend que l’enfant n’est pas un sujet mais un assujetti. Et qu’il doit se soumettre à l’autorité adulte pour pouvoir un jour assumer ses responsabilités dans le monde; il est facile de faire remarquer que personne ne peut passer miraculeusement d’une position d’assujetti à une position de sujet. A celui qui prétend imposer, par son autorité, le monde et la culture à l’enfant; il faut dire que si l’adulte aime le monde et estime la culture, il n’aura de cesse, plus ou moins consciemment, de faire en sorte que l’enfant veuille lui-même ce qu’il cherche à lui imposer.

Pour celui qui prétend respecter, à chaque instant, le sujet dans l’enfant et ne lui proposer l’assimilation de contenus culturels qu’au moment où ceux-ci viendront enrichir leurs relations; il faut rappeler que, même avec la meilleure volonté du monde; tout n’est pas négociable et que l’exigence intellectuelle n’est pas spontanément objet de désir. À celui qui prétend respecter le sujet libre dans l’enfant en développement; il faut sans cesse rappeler qu’il ne peut écarter définitivement dans l’éducation tout comportement autoritaire, tout arbitraire et même toute punition.

Place de l’instituteur dans l’éducation

education instituteur

Certes, l’instituteur reconnaît le caractère essentiel de sa place et de l’autorité qu’il représente. Bien au-delà de lui-même et de sa personne. « Je suis un événement pour ces enfants. […] Toute l’année, ils rapporteront à moi une partie de leurs pensées. Toute l’année, ils se nourriront de mes idées, des faits que je leur révélerai, des travaux et des punitions que je leur infligerai. Je serai pour eux un patron, un gendarme, un prêtre, un ami. Sur mes pas, ils entreront dans la société ».

Mais, s’il est un événement pour ses élèves, s’il les introduit, par une autorité qui le dépasse, à un monde qui le dépasse, il ne se reconnaît pas moins fragile; éminemment fragile, dépendant d’eux et entretenant avec eux des relations qui mêlent de manière complexe dissymétrie cognitive et symétrie affective. « Eux aussi sont pour moi un événement. Ma classe, je dépendrai d’eux presque aussi fermement qu’ils dépendront de moi. Où me conduiront-ils ? Dans mon propre passé, dans leur propre futur ? »

L’importance institutionnelle de sa mission, la volonté d’assumer les exigences de la République n’abolissent pas; en effet, par décret la sollicitude première et sa fragilité constitutive. Il se fait un devoir d’honorer la confiance que l’institution a mise en lui. Il reconnaît que « ce qu’il doit considérer, c’est la classe, leur groupement ». Mais il ne peut se résigner à sacrifier pour autant sa passion pour l’émergence, par l’éducation, de chaque sujet dans son irréductible individualité.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page
error: Content is protected !!