La formation d’enseignants un savoir construit sur l’expérience
Lorsque le nouveau formateur prend son poste, il sort de sa classe. D’ailleurs, c’est souvent une condition nécessaire, presque fondamentale pour être choisi. Cette caractéristique fonctionne comme un allant de soi pour les différents acteurs et non réellement questionnée. Qu’est-ce qui est si essentiel, si unique, si prioritaire dans la pratique de la classe pour orienter à ce point le choix et être un élément déterminant du profil ? La connaissance de la classe ? La connaissance du public avec un regard intérieur ? Des compétences spécifiques de la profession d’enseignants, construits uniquement dans ce lieu ? Toujours est-il qu’aucun diplôme spécifique n’est exigé, pas plus qu’une formation préalable. Dans les articles du règlement de l’enseignement primaire, la mention particulière faite est que pour la formation d’enseignants, on reçoit un complément de formation, fixé, de cas en cas, par la direction générale de l’enseignement primaire.
Formation d’enseignants au gré des urgences
L’association des formateurs a revendiqué régulièrement une formation commune en formation des adultes et une formation spécifiée selon le libellé du poste. Ces propositions n’ont pas été entendues. Leur donner une réponse, c’est d’une certaine manière entériner le concept d’une profession à part entière et les blocages institutionnels ne le permettent pas. Ce sont donc les services dans lesquels le nouveau venu s’insère qui vont assumer une formation ciblée. Avant tout liée aux contenus et aux orientations de ceux-ci.
La formation s’effectue sur le tas, au gré des possibilités et des urgences. Les nouveaux formateurs s’intègrent très vite aux actions de formation. Car les tâches sont de plus en plus nombreuses, les demandes de l’institution toujours plus pressantes et le personnel restreint. L’opérationnalité est de mise. En caricaturant, le formateur d’enseignants est un autodidacte en puissance et en accéléré. Il bénéficie de l’expérience des membres de l’équipe. Une expérience souvent transmise sous le signe de la modélisation et de l’activité en situation réelle. Il se spécialise, lectures, recherches, expérimentations dans les classes. Il construit sa pratique de formateur au fur et à mesure de ses activités dans le cadre du service qui peut être plus ou moins prodigue en temps et possibilités de formation.
Des résultats d’une enquête menée dans le cadre de l’association des formateurs, il ressort que, plus de cinquante pour cent d’entre eux possédaient une licence. Souvent en sciences de l’éducation, complétée par une gamme de formations aussi diversifiées que des stages d’été, des cours de perfectionnement dans les disciplines scolaires, des cours particuliers de développement personnel, des expériences d’assistanat à l’université.
Des compétences en situation
Ainsi, le formateur construit le plus souvent ses compétences en situation, élabore son expertise sans qu’elle puisse être, ni certifiée, ni même répertoriée. Il est rare qu’il affiche son savoir-faire. S’il tend à faire reconnaître son travail, sa fonction, ce n’est pas pour se distinguer des enseignants. C’est pour continuer à exercer ses activités. Quand il est mis en demeure de changer d’orientation, il ne peut nommer ses compétences. Il ne peut dire en quoi elles lui permettent de s’acquitter de sa tâche de formateur, en quoi elles le différencient de l’enseignant primaire. Il est souvent possible de faire correspondre les compétences du formateur aux compétences de l’enseignant. Elles paraissent se calquer les unes sur les autres. Elles fonctionnent comme en écho. La frontière semble floue. Néanmoins, dans une perspective de professionnalisation, cette différence est à cerner. Les formateurs s’accordent unanimement à la vivre.
L’ambiguïté semble résider dans la double perspective qui enchaîne les actions et les réflexions du formateur. Il travaille avec un public d’adultes et en même temps, les contenus, le sens, les démarches finalisées vers le public d’enfants. Cette double articulation occulte vraisemblablement la spécificité de la profession. Il apparaît pour les formateurs comme une évidence que leur principale différence réside avant tout dans le fait qu’ils s’adressent à un public d’adultes. Cette évidence ne semble pas faire l’objet d’un enjeu de savoir pour la communauté. Elle fonctionne comme une caractéristique d’opérationnalisation de l’action, comme un désir de formation d’enseignants pas vraiment comme un savoir à conceptualiser.
Le vécu professionnel ne garantit pas la compétence
De même, la reconnaissance des acquis issus de l’expérience, si elle se pose dans d’autres secteurs de la formation des adultes, paraît la plupart du temps ignorée des pouvoirs scolaires ainsi que des acteurs eux-mêmes. Alors que bientôt les nouveaux enseignants primaires s’engageront avec un titre de licence. Les formateurs continuent d’être recrutés sans exigence préalable de ce titre. Un titre ne garantit certes pas des compétences. Mais un vécu professionnel pas davantage. Si celui-ci n’est pas couplé par une solide analyse qui le transforme en expérience professionnelle. Pour asseoir leur crédibilité, les formateurs devraient à la fois organiser des procédures pour attester des compétences acquises et intervenir pour qu’au moins une formation commune en emploi puisse s’effectuer. Peut-être un détour par une formation inter cantonale faciliterait la prise en compte de cette dimension par les pouvoirs publics. Ce n’est pas sûr.
En effet, une oscillation constante se manifeste entre une socialisation communautaire qui privilégie les traits d’appartenance. Et une socialisation sociétaire qui définit les intérêts économiques communs du groupe des formateurs. Selon les événements qui surgissent, se développe l’un ou l’autre de ces aspects. Entre les exigences de l’institution et les désirs des personnes, la compréhension de la dynamique identitaire s’enracine dans le champ social des activités professionnelles. Et dans une approche des dimensions des représentations qui structurent les discours et les actions de la formation d’enseignants.
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