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Les représentations mentales piliers du processus d’apprentissage

Les choix pédagogiques que fait quotidiennement l’enseignant sont déterminés par de nombreux facteurs. Parmi ceux-ci, un facteur important qui détermine le style d’enseignement est l’idée que l’enseignant se fait de la manière dont les élèves apprennent et de ce qui peut les aider à mieux apprendre. Un enseignant a en effet toujours une théorie de l’apprentissage, même s’il n’en est pas conscient. Une définition de l’apprentissage susceptible aujourd’hui de provoquer un consensus assez large est qu’il s’agit d’un processus de changement interne qui se réalise lorsque l’individu, en interaction avec son environnement, acquiert (ou modifie) une représentation mentale concernant une connaissance (savoir), une habileté (savoir-faire) ou une attitude (savoir-être). Cette définition met les représentations mentales de l’élève au centre du processus d’apprentissage. Ce sont elles que l’enseignant doit évaluer et faire évoluer.

L’apprentissage est un processus de changement interne

La doctrine béhavioriste interdisait de faire appel à des processus internes inobservables. L’apprentissage était alors défini comme un changement de comportement. Cette définition a permis d’établir un certain nombre de lois de l’apprentissage concernant les répétitions, les renforcements, l’oubli, lois qui sont toujours valables. Mais elle avait néanmoins plusieurs inconvénients. Par exemple, elle ne permettait pas d’envisager qu’un sujet qui a appris quelque chose ne change, malgré tout, pas de comportement. Or, cette situation est fréquente. C’est par exemple le cas de l’élève qui connaît la réponse à la question posée par l’enseignant. Mais qui ne la donne pas par manque de motivation, peur des réactions des camarades ou pour toute autre raison. Elle ne permettait pas non plus de comprendre les fluctuations du comportement de celui qui a appris. Doit-on considérer que lorsque Federer perd un match de tennis il a désappris à jouer?

Ce qui manquait à cette définition, c’était de faire la distinction entre la compétence d’un sujet, qui est un état interne inobservable et la performance observable. L’apprentissage est une acquisition de compétences qui ne se manifestent par des changements comportementaux que sous certaines conditions. Le problème de l’enseignant est qu’il désire évaluer la compétence de ses élèves. Mais, qu’il ne dispose pour cela que de l’observation de leurs performances.

Il doit donc être conscient que, sauf dans le cas exceptionnel de la tricherie, la performance d’un sujet ne peut dépasser sa compétence. La compétence marque la limite supérieure que le sujet peut atteindre lorsque les conditions sont optimales pour lui. Si l’enseignant veut en obtenir l’évaluation la plus exacte possible. Il faut donc qu’il mette les élèves dans les meilleures conditions possibles. Motivation, fourniture d’indices favorables à la récupération des connaissances, répétition des contrôles pour neutraliser les fluctuations de performance…

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Quand on apprend, on acquiert ou on modifie des représentations mentales

C’est dans cette phrase que réside l’affirmation centrale de la psychologie cognitive, en opposition avec la théorie béhavioriste. Faire appel aux représentations mentales du sujet est apparu comme indispensable pour que la psychologie ne se limite pas à décrire des lois associant des situations avec des comportements déterminés mais puisse expliquer les comportements.

Face à la théorie béhavioriste selon laquelle apprendre consiste simplement à associer des stimulations et des réponses. La théorie cognitiviste affirme donc que lorsque nous apprenons, notre comportement change parce que notre compétence s’est modifiée. Et que notre compétence s’est modifiée parce que notre représentation mentale de la situation d’apprentissage s’est modifiée.

Les représentations mentales d’un problème qu’ont un expert du domaine auquel le problème appartient et un novice, qui sait encore peu de choses sur ce domaine, diffèrent à trois niveaux :

  • face à des situations particulières, l’expert dispose de réponses spécifiques automatisées directement accessibles dans sa mémoire à long terme. Par contre, le novice doit mettre en œuvre des procédures de recherche plus ou moins coûteuses.
  • l’expert a constitué des classes de problèmes associées à différents types de solutions. Le novice essaie aussi de constituer de telles classes. Mais, il se fie généralement à des ressemblances superficielles entre les problèmes. Alors que l’expert a des critères de classification plus pertinents.
  • l’expert a une bonne connaissance des concepts de son domaine d’expertise et des relations d’ordre, de dépendance, de causalité entre ces concepts. Au contraire, les connaissances du novice sont pauvres et mal structurées. C’est là le niveau le plus fondamental. En fait, c’est celui qui permet de mettre au point une solution originale. Et ceci qu’on ne peut résoudre un problème ni par une procédure automatisée ni en le rattachant à une classe de problèmes connue.
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L’enrichissement des représentations mentales

La théorie cognitiviste suppose que les représentations sont organisées dans la mémoire à long terme sous la forme d’un réseau constitué de nœuds et d’arcs reliant les nœuds entre eux. Les nœuds sont les concepts et les arcs sont les relations entre les concepts. Apprendre consiste à modifier ce réseau en créant des nœuds ou des arcs. Soit en supprimant ou en modifiant la force des associations entre les nœuds.

Les représentations peuvent être enrichies en y ajoutant de nouveaux éléments (de nouveaux nœuds et de nouveaux liens). Par exemple, lorsqu’un élève apprend que la patelle et le couteau sont des coquillages. Son concept de coquillage enrichi par de nouveaux exemplaires mais non fondamentalement modifié. Une grande partie des apprentissages consiste à enrichir des savoirs existants. Les programmes scolaires sont d’ailleurs conçus pour permettre cet approfondissement progressif des connaissances dans la mesure ou l’on trouve les mêmes contenus à deux ou trois ans d’intervalle.

La restructuration des représentations mentales

Les représentations peuvent être restructurées si le sujet s’aperçoit qu’elles sont inadéquates. Dans ce cas, le réseau des nœuds conceptuels et des liens entre les concepts est profondément et brutalement bouleversé. À l’école une partie du travail de l’enseignant consiste à aider l’élève à déstructurer des représentations erronées. Puis, à restructurer des représentations exactes. Le diagnostic des représentations erronées des élèves et la mise en place d’actions pédagogiques ayant pour finalité de les déstructurer sont les premières étapes indispensables pour l’apprentissage.

En effet si on laisse persister une représentation erronée, elle peut constituer un obstacle à l’apprentissage. En fait, elle entre en compétition avec celle que l’enseignant veut promouvoir. Par exemple, la plupart des jeunes enfants pensent qu’un grain de blé n’est pas quelque chose de vivant parce qu’il ne bouge pas. Ici, la représentation de l’enfant n’est pas totalement fausse mais sa validité est restreinte à certaines situations. L’apprentissage consistera pour l’enfant à exclure de sa représentation du vivant le mouvement qui n’est pas un critère essentiel et à y inclure la reproduction, l’alimentation et la croissance qui sont essentielles.

La résolution du conflit entre la représentation initiale de l’élève et la représentation scientifiquement exacte n’est pas facile. Celle initiale bénéficie d’un degré de certitude élevé dans la mesure où elle s’est formée à partir de l’expérience personnelle de l’enfant. Elle a constitué jusque-là un système d’explication implicite satisfaisant. Il faut mettre l’élève en présence d’un ensemble de faits convergents qui contredisent sa conception. De façon à créer chez lui un conflit cognitif. Et/ou qu’il confronte des arguments contradictoires de la part de camarades qui ont des opinions différentes. Ceci crée également un conflit cognitif mais dont le point de départ est social. Ce conflit est, pour cette raison, qualifié de socio-cognitif.

L’apprentissage par analogie

On pourrait penser qu’il faut aussi créer de nouvelles représentations lorsqu’on aborde un domaine totalement inconnu. Mais, même dans ce cas, l’élève ne part pas de rien. Il s’appuie sur des situations connues qui ont une certaine analogie avec la situation nouvelle. Ces situations lui fournissent une représentation de départ plus ou moins adéquate qu’il faudra donc enrichir ou corriger.

L’utilisation d’analogies est un moyen d’enseignement efficace. On a pu montrer, par exemple, qu’un groupe d’élèves de sixième à qui on avait expliqué ce qu’est une infection en la comparant à une bataille avait mieux retenu qu’un groupe pour lequel on n’avait pas utilisé d’analogie. Toutefois il faut être vigilant car la correspondance entre le domaine connu qui fournit l’analogie et le domaine inconnu n’est jamais parfaite. Un danger est que les élèves n’importent de façon illicite des caractéristiques du premier dans le second. Par exemple s’ils pensent que les microbes ont des armes comme des poignards.

Un autre danger est au contraire qu’ils ne restreignent leur représentation du domaine inconnu aux seules caractéristiques présentes dans le domaine connu. Ainsi l’analogie du partage de gâteau pour les fractions peut bloquer certains types de raisonnement. Elle est utile tant qu’on additionne les fractions. Mais elle rend difficile pour les élèves de comprendre leur multiplication et leur division car cela n’a pas de sens de multiplier ou de diviser un huitième de tarte par deux tiers de tarte. Il faut donc analyser avec les élèves les limites des analogies utilisées.

L’affinement progressif des représentations mentales

Les représentations peuvent aussi évoluer lentement en s’affinant grâce à des réglages de plus en plus fins au fur et à mesure qu’on les utilise. Il s’agit là de modifications qui ne sont pas faciles à expliquer avec des mots. Elles concernent de façon privilégiée l’acquisition d’habiletés motrices et d’attitudes. En ce qui concerne les premières, la pratique répétée permet aux circuits nerveux de s’ajuster de telle sorte que les paramètres qui interviennent dans le contrôle du mouvement se règlent progressivement pour la meilleure performance possible. Le mécanisme de ce type d’apprentissage correspond à ce que les béhavioristes avaient décrit dans le cadre du conditionnement opérant. Les réponses sont sélectionnées en fonction de leurs effets. Celles qui mènent au succès ont tendance à se reproduire. Tandis que celles qui mènent à l’échec ont tendance à s’éliminer.

Quant à l’acquisition des attitudes, on peut en rendre compte dans les termes de la psychologie cognitive. En imaginant que dans ces cas la répétition des expériences entraîne des déformations lentes du réseau de la mémoire à long terme avec renforcement ou affaiblissement progressif de certains liens, rapprochement ou éloignement de certains nœuds. Mais, elle peut aussi être décrite en termes de conditionnement répondant. Lorsqu’une stimulation effectivement neutre est associée de façon régulière avec une stimulation à forte valeur affective, la stimulation neutre acquiert progressivement pour le sujet la même valeur affective que l’autre stimulation. Par exemple, si la leçon de lecture (qui au départ n’a pas lieu d’être perçue comme désagréable par le jeune élève qui entre au CP) s’accompagne systématiquement de réprimandes du maître, elle ne va pas tarder à être redoutée et la lecture va acquérir une valeur affective négative, même en dehors de la situation scolaire.

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