La pédagogie différenciée avec un effectif trop chargé
L’intérêt d’une évaluation formative et d’une différenciation de la pédagogie est évident pour la plupart des enseignants. Par contre, leur mise en application se heurte à de nombreuses oppositions : effectifs trop chargés, manque de formation à ces pratiques, lourdeur des programmes, manque de temps, etc. Est-ce que la pédagogie différenciée suite à une évaluation formative avec un effectif supérieur à vingt élèves peut être appliquée en réalité ?
Principes guidant notre réflexion sur la pédagogie différenciée
Loin de vouloir minorer les difficultés gênant la mise en œuvre de la différenciation, l’expérience présentée dans cet article permet de penser que des solutions existent et qu’il est possible de différencier la pédagogie dans nos classes. L’origine de la réflexion tient à une rencontre avec un enseignant régulier dynamique, M. Bonvin. Il cherche depuis longtemps comment appliquer dans sa classe le modèle séduisant de l’évaluation formative et de la différenciation. L’expérience a débouché sur un modèle que nous avons ensuite proposé à l’ensemble des collègues du centre scolaire. L’expérience menée dans tous les degrés primaires.
Trois principes qui ont guidé notre réflexion et qui précisent dans quel esprit nous avons travaillé :
- Tout d’abord, nous avons accordé une place toute particulière à l’auto-évaluation et à l’autorégulation et ce, pour deux raisons. Premièrement parce qu’elles touchent à l’autonomie et à l’auto-responsabilité, deux finalités essentielles en éducation. Et ensuite car, sans elles, la pédagogie différenciée devient ingérable. De plus, l’autogestion des apprentissages par l’ensemble des élèves permet au maître de mieux cibler ses interventions auprès des élèves en difficulté et de leur consacrer davantage de temps.
- Le deuxième principe relève de la transparence et de l’explicite. Il s’agit en effet d’informer impérativement les élèves des objectifs poursuivis, des moyens et des méthodes utilisés, des critères de réussite… C’est seulement ainsi que les élèves pourront devenir réellement acteurs de leur formation.
- Enfin, il nous a paru essentiel de ne pas oublier les problèmes d’organisation qui se posent nécessairement, surtout dans la phase de différenciation simultanée où se constituent les groupes de niveaux. La gestion de l’espace et du temps de travail ne doit pas être négligée. Les règles de discipline et de fonctionnement de la classe clairement énoncées.
Le projet de la différenciation
Concrètement, nous avons choisi de travailler avec M. Bonvin l’introduction de l’algorithme de la division en 4P. Le projet s’est déroulé sur trois à quatre semaines. Il peut être découpé en six étapes principales.
- Le maître présente tout d’abord aux élèves la séquence d’enseignement apprentissage. Notamment le thème choisi, les objectifs, les critères d’évaluation, la méthode, les moyens utilisés et l’évaluation sommative prévue (l’examen). Il informe les élèves de la fonction formative des évaluations et précise que seule l’évaluation finale sera notée. Les élèves reçoivent aussi la grille des objectifs du thème qui leur permettra d’auto-évaluer leur progression durant les trois semaines de travail. pédagogie différenciée
- Le maître effectue ensuite l’évaluation formative de départ qui porte sur le thème à venir, ce qui surprend les élèves, mais permet d’appuyer le cours sur des réponses à des questions préalablement posées et de montrer aux élèves, en évaluation sommative, les progrès effectués. L’évaluation de départ permet de vérifier la présence des prérequis.
- La première phase de travail proprement dite commence maintenant. Ici, le maître conserve la maîtrise de toute la classe. Cette phase s’organise sous la forme d’une différenciation successive qui consiste pour le maître à faire varier les situations, les outils, les méthodes, etc. Ceci augmente la probabilité que chaque enfant se sente à l’aise au moins dans une des approches proposées. On propose des activités collectives et des tâches individuelles avec certaines fiches auto-correctives, on organise des ateliers… Durant toute cette phase, le maître procède à une évaluation continue et repère déjà les élèves qui présentent des difficultés pour leur apporter une aide plus individuelle. Un coin évaluation est à organiser. Les élèves, s’ils se sentent prêts, peuvent auto-évaluer leurs compétences dans chaque objectif, à tout moment. Cette phase de différenciation successive a duré environ deux semaines. pédagogie différenciée
Reste des étapes du projet
- À la fin de la phase d’apprentissage collective (fin de la deuxième semaine), le maître propose aux élèves une évaluation ponctuelle qui lui permettra de vérifier si certains élèves maîtrisent déjà les objectifs du thème. Il pourra également déterminer quels sont les élèves qui sont en difficulté et doivent par conséquent bénéficier d’une aide plus spécifique. M. Bonvin a alors pu relever que 13 élèves sur 24 avaient déjà atteint tous les objectifs du thème et pouvaient dorénavant travailler sur les objectifs d’approfondissement. Seuls 4 élèves présentaient à ce moment-là des difficultés importantes. pédagogie différenciée
- Suite à l’évaluation ponctuelle, le maître organise maintenant sa classe sous la forme de la différenciation simultanée. Les élèves répartis maintenant dans des activités différentes, adaptées aux besoins de chacun. La classe donc réorganisée en groupes de niveaux. Le maître peut par conséquent effectuer les remédiations nécessaires et apporter une aide plus importante aux élèves en difficulté. Par contre, les autres élèves travaillent de manière autonome les objectifs d’approfondissement. Le maître a consacré environ une semaine à cette étape.
- Enfin, l’évaluation sommative peut se réaliser. Comme tous les élèves ont atteint les objectifs fondamentaux, le maître peut donc faire passer l’examen à sa classe. Cette dernière évaluation correspond strictement aux objectifs prévus et communiqués aux élèves. Ceux-ci peuvent donc mesurer maintenant leur progression en comparant leur résultat avec l’évaluation formative de départ. pédagogie différenciée
Bilan de l’expérience de pédagogie différenciée
Le bilan effectué après cette expérience a été qualifié de « globalement très satisfaisant » par l’enseignant titulaire. Ce dernier apporte également les remarques suivantes.
- Le « coin évaluation » qui permettait aux élèves d’évaluer, quand ils le désiraient, les 3 objectifs-noyaux a été particulièrement apprécié.
- Les problèmes de discipline ne se sont pas posés, la motivation étant très forte pendant les 3 semaines.
- Le thème étant tout à fait nouveau pour les élèves, l’évaluation formative de départ aurait dû se limiter uniquement à l’évaluation des prérequis.
- Le maître doit être assez directif, lors d’une première expérience de ce type, dans l’utilisation de la fiche d’auto-évaluation. La démarche exige en elle-même un apprentissage.
Le modèle a été appliqué dans tous les degrés primaires du centre scolaire. Néanmoins, cette expérience de pédagogie différenciée appelle un commentaire qui touche aux finalités mêmes de l’enseignement. En fait, il s’agirait maintenant de profiter de la dynamique créée au centre scolaire pour généraliser la pratique de la différenciation à l’ensemble du programme et de permettre ainsi à tous les élèves de réussir. Or, comme le relève Davaud, il y a incompatibilité fonctionnelle entre notre système sélectif (exigence sociale) et l’idéal de différenciation qui permettrait à tous les élèves de s’approprier les connaissances scolaires (discours pédagogique). Il s’agira donc à l’avenir de tenter de résoudre ce paradoxe et de concilier exigence de sélection et pédagogie de la réussite.
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