Le discours classique des professionnels de l’éducation consiste à affirmer que l’école ne peut pas remplacer la famille. Dès lors, nous constatons que peu de moyens sont mis en œuvre pour agir efficacement sur la responsabilité de la famille. Nous pensons que les enseignants doivent communiquer avec celle-ci, pourtant la plupart d’entre eux considèrent soit que ce n’est pas leur rôle, soit que les résultats n’en valent pas peine, soit que les parents sont indifférents.
Pour les parents, l’école est un lieu auquel ils confient leurs enfants pour que ces derniers apprennent ce qui leur sera nécessaire plus tard pour s’intégrer dans la vie adulte, tout en souhaitant que leur propre conception de l’éducation ne soit par remise en cause. Si elles sont oralisées, ces attentes peuvent, dans certains cas, provoquer de très fortes tensions entre les protagonistes du triangle : école/parents/enfants.
La famille moderne est en crise, et entraîne-t-elle dans sa chute les jeunes dans la délinquance ? La famille du « bon vieux temps » aurait-elle fait place à une mauvaise famille dans laquelle les relations entre parents et enfants auraient perdu de leur force, et les aînés de leur autorité ? Les relations se rompraient-elles entre les générations, les parents renonceraient-ils à assumer leurs responsabilités ? Y aurait-il moins d’affection et de respect des enfants envers leurs parents ?
Désormais, c’est d’une génération à l’autre, que les valeurs, les comportements, les normes changent; sans avoir le temps d’être assimilés et filtrés par la tradition familiale et l’expérience commune. Notre société de consommation fonctionne comme une broyeuse. Elle déchiquette alors les racines et les traditions en fournissant sans cesse de nouveaux besoins et de nouvelles frustrations.
Famille et facteurs de risque
Les jeunes violents sont souvent issus d’un milieu familial en souffrance. En effet, plusieurs adolescents sont ou ont été témoins des querelles de leurs parents, ont fait l’expérience du divorce ou de la séparation des parents. D’autres vivent au sein d’une famille monoparentale. Tous ces éléments peuvent exporter vers l’école la violence familiale. Le niveau et le statut social et économique des familles jouent un rôle déterminant dans l’organisation de la famille et particulièrement dans l’exercice de la discipline avec des phénomènes de violence.
De nombreuses familles accumulent aussi les problèmes de maltraitance, de toxicomanie. Elles considèrent aussi que la violence est un moyen acceptable pour éduquer les enfants ou pour résoudre les conflits. La famille est le berceau des premières expériences affectives sociales et relationnelles de l’enfant. Les comportements violents des enfants sont souvent favorisés par leurs parents qui n’arrivent pas à assurer sous la responsabilité de la famille :
- une supervision adéquate ;
- une cohérence entre leurs conduites et leurs verbalisations ;
- des modèles efficaces de communication et de résolution de conflits ;
- une éducation basée sur des relations affectives et des règles équitables pour tous les membres de la famille.
Le comportement violent des enfants est déterminé par :
- le retrait d’affection de la part des parents ;
- l’éclatement du foyer : le fait de vivre avec ses deux parents permet plus souvent d’éviter de devenir délinquant expérimentateur voire auteur ;
- l’usage de punitions plus fréquentes, disproportionnées et inefficaces par rapport aux actes commis ;
- les actes intrafamiliaux violents et/ou négligents ;
- la délinquance du milieu parental.
L’école punit souvent ces enfants comme le fait le milieu familial. La révolte devient donc inévitable.
Famille et équipe pédagogique
Certes l’école n’a ni le devoir ni le pouvoir de se substituer à la famille. Mais elle doit éviter de capituler en proposant aux jeunes des modèles de société trop neutres ou indigestes. Ici, le rôle fondamental des équipes pédagogiques est de montrer et vivre devant les adolescents comme une structure démocratique. Offrir un tel exemple peut amener les élèves à choisir la voie de la socialisation; plutôt que la voie de la violence tracée par la famille.
Pour que le travail d’équipe soit efficace, chaque membre du groupe doit être conscient des motivations sous-jacentes de chacun des participants. Et vouloir que ces derniers atteignent leurs buts tout autant que soi. L’équipe doit travailler ensemble à des solutions mutuellement définies. Le travail en équipe offre de nombreux avantages tels que :
- La possibilité d ’exprimer ses sentiments positifs et négatifs.
- L’échange d’expériences pédagogiques.
- Le ressourcement affectif et mental. Les professeurs se trouvant dans des situations relationnelles ou pédagogiques difficiles ne peuvent y répondre qu’en acceptant l’aide, le soutien et les plaintes des membres de l’équipe.
- La mise en place de solutions intégratives. Face à la violence, les professeurs peuvent réagir individuellement. Mais ils seront constamment exposés aux erreurs possibles de leurs collègues. Ils verront régulièrement les effets de leurs solutions anéantis par ces erreurs ou des erreurs sous la responsabilité de la famille.
- La souplesse de la discipline et la cohérence de l’autorité. Nous devons les affronter dans des situations classiques où le professeur est seul devant sa classe. Ce sont des situations qui ravivent le sentiment d’incompréhension du jeune à l’égard de l’incohérence familiale. Dans un travail d’équipe, la faute prend tout de suite un caractère social et collectif. Elle devient l’affaire de tous.
- La présentation d’un modèle de société cohérent pour les adolescents
- Une plus grande objectivité de l’évaluation.
Responsabilité de la famille, la famille participative et l’information participante
Nous avons régulièrement constaté dans nos écoles la nécessité d’informer les parents. Mais comme le souligne Piaget, si on trouve d’excellents parents, il en existe aussi de moins bons contre la volonté desquels il est utile de protéger le jeune. Nous avons souvent remarqué que les réunions de parents traditionnelles manquaient de systématisation leurs apportant une information bien souvent lacunaire. Les parents qui s’entendent répéter par tous les professeurs que leur enfant est un cancre ne constitue pas une approche formative.
Nous proposons plutôt la pratique à outrance de l’information participante. Il s’agit d’une information présentée par des professeurs formés et dont le but consiste en une véritable éducation. Cette information doit être suffisante, sans excès de détails, et soigneusement structurée dans son contenu afin d’éviter de renforcer la culpabilité des parents.
La question fondamentale étant : que pouvons-nous faire ensemble (parents enseignants élève) pour que l’école devienne un instrument de réussite sociale ? Mais cela demande une énergie considérable.
Face aux familles participatives, l’invitation doit être lancée. Il est grand temps qu’elles entrent dans l’école non plus pour s’entendre reprocher le comportement insupportable de leur enfant. Mais pour apporter leurs réflexions et leurs suggestions afin d’enrayer un phénomène multifactoriel et sociétal que représente la violence. Les personnes chargées de favoriser ce type d’entrée du monde parental et de responsabilité de la famille ne doivent pas être des bénévoles ou des amateurs. Cette fonction est un véritable métier qui nécessite une formation spécifique.
Avec ce type de famille, nous croyons beaucoup au contrat éducatif qui implique les parents. Ceux-ci reçoivent les conditions de réussite détaillées pour leur enfant. Ils ont ensuite la possibilité d’intervenir auprès de l’enseignant ou de la direction; pour se faire expliquer un point qui pose problème. En le signant, ils deviennent des partenaires du triangle : école-famille-ado.
Les familles violentes, les pistes d’intervention
En fait, réhabiliter ces familles conduit à développer des procédures de négociation; où le paradoxe côtoie les espérances les plus insolites des acteurs. Il reste que l’humanisation des acteurs constitue le but incontournable de l’action sociale; qui pour être menée avec succès, nécessite aussi que l’on définisse ce que représente une éducation satisfaisante.
Nous pensons que ces familles ressentent, comme leurs enfants, un manque cruel et criant de considération, d’acceptation et de communication. Ils veulent investir l’école pour y crier leur haine sociétale. Si nous ne voulons pas qu’ils s’en prennent aux enseignants et enseignantes dans leur classe; offrons-leur dans l’école un espace de parole et construisons avec eux l’espace de pouvoir qu’ils auront à gérer. Pour ces personnes, l’école constitue un espace de considération important. Toutefois, peu d’enseignants admettent ou comprennent. C’est que la réciproque est tout aussi enrichissante pour eux mais à condition, bien entendu, d’y participer avec le plus grand sérieux et la plus grande humilité.
Ces conseils de participation ne doivent pas être gérer par des amateurs. Mais par des spécialistes de terrain aguerris, capables de gérer une agora constituée de personnes utilisant un langage verbal peu élaboré; mais extrêmement expressif et angoissé. Le travail de fonctionnaire est à proscrire. Cette tâche est véritablement un sacerdoce au service d’un quartier, d’un immeuble ou d’une petite commune.
La responsabilité de la famille : investissement et analyse prédictive
Rappelons que l’investissement dans les études n’a certainement pas le même sens pour tous. En effet, pour les uns elles représentent le moyen nécessaire pour assumer leur destin social, dans la continuité avec l’univers familial. Pour les autres, le moyen, l’espoir hypothétique est toujours mêlé de crainte d’y échapper. Les familles défavorisées se pénalisent doublement par le couple école société : le fatalisme de l’échec et la résignation dans l’inaction.
L’enfant de milieu défavorisé est victime d’un paradoxe interne destructeur. D’un côté, les parents voudraient par projection le voir réussir à s’échapper de la misère. Mais, de l’autre, ils craignent la trahison et le reniement. C’est pourquoi nous insistons donc sur l’utilisation par les enseignants de l’évaluation prédictive sur la famille afin de mieux comprendre; de formaliser le rapport entre la trajectoire scolaire, la structure et la responsabilité de la famille et la personnalité de l’élève.
Pendant que l’adolescent organise sa personnalité, les parents sont, en miroir, sollicités. Cela réactive les épreuves vécues lors de leur propre adolescence. Pour eux, il s’agit de réaliser une série de deuils. L’adulte conserve en lui la vérité enfouie et morcelée de l’enfant qu’il a été et la nostalgie de l’enfant qu’il n’a pu être.
Nous trouvons, également de part et d’autre, une réorganisation des identifications qui se déroulera d’autant mieux que les bases affectives. Et les assises narcissiques auront été solidement installées. Sans doute, l’adolescent aura besoin d’un moi parental solide et différencié pour permettre à celui-ci d’étayer son propre moi.
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