Pédagogie

La transversalité des compétences et l’échec scolaire

L’école est par excellence le lieu où l’on n’agit pas pour de vrai. On est loin des conditions de l’activité sociale. L’usage possible de ce qu’apprend l’élève ne lui est pas visible, d’où une carence de motivation. Les matières ont été divisées en éléments simples qu’on présente un à un, selon un ordre logique, l’élève est condamné à un regard myope et le sens lui échappe. Cette perte d’utilité et de sens d’abord éprouvée par l’élève. Mais elle n’est pas seulement une erreur de perspective due à la place qu’il occupe dans le dispositif. La clôture de l’école a conduit à ce que les savoirs qui y sont enseignés soient détachés des pratiques sociales. Si l’idée de transversalité des compétences paraît inscrite dans la nature même de l’école, des causes historiques plus conjoncturelles vont la faire émerger d’une manière plus explicite dans le discours éducatif contemporain.

Certes, on rencontre ce paradoxe d’une institution close, l’école. En laquelle on dispense des savoirs détachés de la vie sociale et dont la vocation pourtant est de préparer à cette vie sociale. Tous les enseignants savent bien que l’immense majorité des élèves, devenus adultes, n’auront jamais à définir le romantisme, ni à étudier une fonction exponentielle, ni à faire une coupe géologique, ni à se servir de la formule chimique de l’éthylène, ni à traduire un sonnet de Shakespeare. D’où l’idée que les savoirs et les exercices scolaires font apprendre plus qu’ils ne paraissent transmettre. Dès lors, la transversalité prend d’emblée une forme particulière. Elle n’est pas ce qui serait commun à plusieurs disciplines. Mais ce qui en chacune la dépasse et pourrait servir au-delà des murs de l’école. En ce sens elle est l’objet d’une croyance fondatrice de la part des enseignants.

compétences

Facteurs de l’échec scolaire

 Dans les pays industrialisés, l’unification des cursus scolaires et l’allongement de la scolarité obligatoire correspondaient à la volonté de donner à tous les enfants. Quelle que soit leur origine sociale, les mêmes chances de départ. Ainsi, en France, tous les enfants vont au collège à l’issue de l’école primaire. Dès lors, la sélection de ceux qui se verront ouvrir les filières les plus intéressantes par l’avenir social qu’elles promettent se fait parmi des élèves tous réunis indistinctement dans le même cursus. C’est la réussite ou l’échec dans les exercices scolaires qui paraît déterminer en grande partie l’avenir social. Il s’ensuit de la part des familles une demande, une attente, un investissement considérable vis-à-vis de l’école et des études.

Or, le fonctionnement d’un système unifié, où tous les enfants se retrouvent de 6 à 16 ans, fait apparaître que si tous ont le même cursus et suivent les mêmes enseignements. Tous n’en tirent pas également parti. Il faut alors supposer que dans la détermination de la réussite ou de l’échec interviennent des facteurs extérieurs aux seules activités scolaires. On invoque alors le mérite et l’inégale répartition des aptitudes conçues comme des dispositions innées en ce qui concerne la transversalité des compétences.

Mais cette explication de l’inégalité scolaire par des caractères individuels est contredite par les sociologues. Dès les années soixante, ils font apparaître les fortes corrélations entre la réussite ou l’échec à l’école et l’origine socioculturelle. À moins de supposer une infériorité intellectuelle générale héréditaire des classes populaires. Il faut faire, appel, pour expliquer cette corrélation massive, à des déterminations sociales.

échec scolaire

Le concept d’habitus et ses influences

Pour en rendre compte plus précisément, Pierre Bourdieu propose le concept d’habitus. Il s’agit d’un système de schèmes de perception, de pensée, d’appréciation et d’action. On voit donc qui recouvre tous les champs cognitifs : sélection de ce qu’on va percevoir comme significatif, manière de concevoir, système de valeurs, décisions d’action.

Bien évidemment, ce système acquis et les auteurs parlent de l’habitus comme produit de l’intériorisation des principes d’un arbitraire culturels. Mais cette acquisition est cachée, oubliée, inaperçue. Ainsi il peut apparaître tous et, bien sûr, d’abord à celui qui le détient comme un don de nature. Ce qui justifie son inégale distribution dans la population et occulte son caractère de privilège social. Ainsi, s’il y a inégale réussite scolaire, ce n’est pas dû à des données caractérologiques innées ni individuelles. Mais au fait qu’avant même leur entrée à l’école les enfants ont, selon l’appartenance sociale de leur famille, plus ou moins intériorisé les manières de voir. Et de penser qui vont permettre de comprendre ce qui se dit et se fait à l’école.

Ce qui est remarquable, c’est que la notion d’habitus est très proche de celle de compétence. En même temps, pensée d’emblée comme transversale. Sur le premier point, Bourdieu et Passeron utilisent le terme même de compétence. Et parlent de compétence légitime en matière de culture légitime en soulignant que cette manière organisée et systématique de penser et d’agir qu’est l’habitus est l’objet d’une reconnaissance collective.

La transversalité des compétences

Ainsi, l’inégalité de réussite à l’école tient à la possession ou non d’une compétence qui soit transversale. C’est-à-dire non limitée à des savoir-faire spécifiques d’une discipline scolaire particulière. Comment penser une telle compétence « transposable » ? Il n’est pas question d’en faire un comportement singulier, qui ne serait adéquat qu’à un type de circonstance. Ici, l’arbitraire culturel se présente comme comportant des « principes ». C’est-à-dire des règles susceptibles d’application dans un grand nombre de situations.

Mais ce qui est plus intéressant, c’est que la transférabilité de l’habitus se présente comme une capacité d’engendrer des pratiques. La compétence ne se réduit pas à la possibilité de produire une liste préétablie de comportements stéréotypés. Mais elle est ce qui permet d’engendrer une infinité de comportements ou d’énoncés nouveaux et adaptés aux situations. Par suite, ce qui réunit des individus ayant même habitus, ce n’est pas du tout l’identité de leurs comportements qui peuvent être très différents. Mais, l’identité totale ou partielle des grammaires génératives de pratiques.

Il reste que la nature précise de cette transversalité des compétences qu’est l’habitus non complètement éclaircie. Ni dans son fonctionnement, ni dans son contenu. Ni bien sûr en ce qui concerne les procédures qui permettraient de l’inculquer. Il est vrai que l’habitus qui nous intéresse dans le cadre de l’école, c’est-à-dire celui qui permet la réception et l’assimilation optimale des messages scolaires, représente un arbitraire culturel parmi d’autres et, comme tel, n’est pas à valoriser. Cependant, en pointant ainsi une des causes majeures de l’échec scolaire. La sociologie désigne au pédagogue, non pas certes une démarche. Mais au moins un foyer d’intervention décisive. On pourrait ainsi se donner comme projet de faire acquérir à tous les élèves un tel habitus.

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