Dans cet article, nous allons examiner comment l’apprenant met à profit les données auxquelles il est exposé pour construire à partir d’elles une langue qui lui sert pendant un certain temps, et pour la modifier petit à petit en direction de la langue cible. Quelles sont donc les tâches essentielles de l’apprenant pendant un cours de langue qui permettent le passage efficace à un système linguistique plus riche ?
L’analyse de la langue
Les données de l’entrée parviennent en général à l’apprenant sous la forme d’énoncés complets doués de sens, qui sont insérés dans un contexte situationnel donné. Ce qu’il peut percevoir et traiter, ce sont :
- Une suite complexe d’ondes sonores, le signal linguistique à proprement parler ;
- Un complexe de données parallèles, perceptibles surtout visuellement.
L’une des tâches qu’il doit accomplir consiste à analyser le complexe sonore en unités plus petites. Et à mettre ces unités en relation dans la mesure du possible avec des éléments de l’information parallèle. Nous appellerons cette tâche le problème de l’analyse. Pour résoudre ce problème, ce n’est pas seulement la capacité de perception qui est mise à contribution. Mais l’ensemble des connaissances dont l’apprenant dispose à un moment donné sur la langue à apprendre.
Toute l’information parallèle (regard, éventuellement gestes d’accompagnement de la parole…) peut vous permettre d’interpréter l’énoncé global tout à fait correctement. D’un certain point de vue, la communication est aussi réussie que si vous étiez tout à fait familier avec la langue. Mais pour apprendre, il ne suffit pas de pouvoir interpréter l’énoncé globalement de façon correcte du point de vue communicationnel. Il faut aussi pouvoir segmenter la chaîne sonore globale en ses composantes selon les règles de la langue cible.
Après avoir réussi à segmenter la chaîne sonore correctement en unités, il faut aussi beaucoup de connaissances pour associer convenablement les unités aux objets correspondants. Certes, on a simplifié l’affaire ainsi que les réflexions de l’apprenant, et laissé de côté bon nombre de détails délicats. Mais on voit clairement que le problème de l’analyse est très complexe. Et notamment qu’il ne s’agit pas d’un simple problème de perception. Il s’agit bien davantage d’hypothèses souvent inconscientes et d’implications tirées à partir des connaissances préalables de l’apprenant.
La construction de l’énoncé en cours de langue
Admettons que l’apprenant ait réussi à analyser la langue au moins jusqu’à disposer d’une cinquantaine de mots : quelques noms, quelques verbes, quelques prépositions, peut-être les pronoms personnels. S’il veut maintenant construire lui-même des énoncés plus longs qu’un mot, il doit tenter de relier ces mots ensemble. C’est ce que nous appelons le problème de la synthèse. Ou plus précisément le problème de la combinaison des mots. Mais ce problème se pose de façon identique au niveau des sons : chaque langue admet seulement certaines combinaisons de sons, qui peuvent également différer selon leur position (début de mot, fin de mot, position accentuée ou non, etc.).
Faire face à ce problème de synthèse est important pour l’apprenant en vue de sa propre production, mais pas seulement. Il doit également, dans une certaine mesure, envisager les règles correspondantes lorsqu’il veut comprendre des énoncés compliqués en langue cible. Particulièrement lorsqu’il dispose de peu d’informations parallèles qui pourraient aider à l’interprétation. Mais ces deux ensembles, les règles syntaxiques pour la production dans la langue de l’apprenant et les règles syntaxiques pour la compréhension d’énoncés en langue cible, n’ont pas forcément besoin d’être identiques. L’apprenant peut réussir à analyser correctement des énoncés de la langue cible avec très peu d’informations parallèles ou même aucune, sans pour cela être capable de construire lui-même des énoncés équivalents.
La mise en contexte
Les informations parallèles sont, dans bien des cas, tout à fait suffisantes pour assurer la communication. Ce n’est évidemment pas toujours le cas, car, sinon, on n’aurait pas besoin de la langue. Mais, en règle générale, l’énoncé est inséré dans un complexe d’informations contextuelles. Dès qu’un locuteur prend la parole, il doit essayer d’adapter son énoncé à ce flot d’informations. C’est ce que nous appelons le problème de l’intégration au contexte. Tout locuteur doit le résoudre.
Ce n’est pas un problème spécifique au cours de langue. Mais il se pose de façon différente en fonction de la richesse de la langue. Lorsque la langue de l’apprenant est très élémentaire, la réussite de la communication dépend en bonne mesure des informations parallèles. Mais surtout de l’habileté avec laquelle l’apprenant insère les quelques moyens linguistiques dont il dispose dans l’ensemble des informations contextuelles. Et dont il agit sur celles-ci. Des langues d’apprenants plus développées sont moins dépendantes des connaissances contextuelles. Mais elles s’appuient toujours sur ces dernières comme la langue cible elle-même. De la langue la plus rudimentaire jusqu’à celle qui ne se distingue pratiquement plus de la langue cible, il existe toujours un certain équilibre entre connaissances linguistiques et connaissances contextuelles. Cet équilibre se modifie progressivement au profit des premières.
La comparaison en cours de langue
Si on suppose que l’apprenant ait déjà atteint un état de langue relativement développé. Pour pouvoir continuer à développer sa langue, il doit la comparer en permanence avec celle de son entourage social. C’est également vrai aux stades initiaux du processus d’acquisition. Mais la tâche devient de plus en plus difficile, tout simplement parce que les différences deviennent plus petites. Il peut alors se faire que des différences subsistent. Mais qu’elles soient trop minimes pour que l’apprenant soit en mesure de les reconnaître. C’est là une des raisons décisives pour lesquelles l’acquisition en cours de langue se bloque souvent, alors qu’il reste souhaitable pour l’apprenant de le poursuivre.
Ce problème de comparaison est l’une des causes des prédictions fausses auxquelles la grammaire contrastive a souvent abouti. Des structures pour lesquelles les deux langues se différencient nettement ne posent, de ce point de vue, qu’un problème simple : l’apprenant s’aperçoit facilement qu’il s’agit là de différences importantes entre son état de langue et la langue cible. Ceci ne veut pas dire que l’apprenant dispose immédiatement des moyens et des voies pour franchir la distance, mais, de toute façon, le problème est perçu. Les structures très similaires sont plus difficiles à traiter du point de vue de la comparaison. En fait, l’apprenant ne perçoit pas immédiatement qu’il y a là une différence, donc un apprentissage à faire.
Pour conclure
L’apprenant doit en permanence résoudre simultanément les quatre tâches indiquées pendant le cours de langue. En effet, il est souvent bloqué dans l’analyse parce qu’il ne sait pas comment certaines unités se combinent dans la langue cible. Inversement, il ne peut pas avancer dans la combinaison tant qu’il ne dispose pas d’unités plus petites qu’il pourrait ensuite combiner ensemble pour produire des énoncés plus complexes et les comparer à ceux de la langue cible, et ainsi de suite.
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