Le défi lecture en pédagogie de projet
L’histoire de la pédagogie de la lecture a connu ces dernières années une fantastique accélération. Quelques chercheurs et pédagogues ont provoqué une prise de conscience nationale du problème. Progressivement, les praticiens à tout niveau de l’enseignement, ont mis en place des actions originales qui visent à améliorer les capacités de lecture et à développer le goût de lire. Il est enfin reconnu que le lecteur poursuit son apprentissage de la lecture toute sa vie. L’individu construit ses manières d’être lecteur. Au moment où s’installe cette conviction, et où les efforts des enseignants, en collaboration avec les partenaires de l’Ecole, tentent de traduire dans les actes l’objectif ambitieux de promouvoir la lecture, surgit la problématique de l’écriture. Aujourd’hui donc, l’enseignant se voit confronté à un défi lecture continué de l’écriture dont il a à concevoir et à favoriser l’apprentissage.
Le défi lecture, une pédagogie de la lecture-écriture
Le Défi lecture fut, à l’origine, un projet d’incitation à la lecture. Le principe en était simple. Susciter l’envie de lire par l’échange entre partenaires de questionnaires élaborés par les élèves à partir d’une liste commune d’ouvrages. Puis ce principe a été interrogé et enrichi de l’expérience acquise avec les élèves. Au fil des années, nourrie par la réflexion, les succès, les échecs, l’action, à l’origine tâtonnante et limitée dans ses enjeux, s’est étoffée et formalisée.
Nous proposons une version du défi lecture qui décrit, au-delà du simple dispositif d’incitation, une pédagogie de la lecture-écriture. Non pas que l’on prétende couvrir tout le champ de la pédagogie de la lecture-écriture. Aussi dense et modulable que soit l’action, elle opère un choix d’objectifs. Dans et hors du système éducatif, les enseignants et les éducateurs devront assurer les transferts. Des idées, une méthodologie aussi, leur sont données. A eux de les adapter.
Fondamentalement le Défi lecture développe donc une pédagogie de la lecture-écriture. Quelle en est la fiche signalétique ? Elle est d’abord, par option éducative, centrée sur l’élève. Cela veut dire qu’il est pris tel qu’il est, avec ses compétences, son niveau, ses attitudes et sa culture. Qu’il soit lecteur ou scripteur avisé ou malhabile, réceptif ou rétif, il s’agira par un dispositif approprié de le séduire. Et le convaincre que lire et écrire, non seulement possible, mais encore agréable. L’objectif trouvera peu de détracteurs, au moins chez ceux pour lesquels enseigner c’est éduquer. Reste à le traduire dans l’action. Pour ce faire, la pédagogie du projet nous semble incontournable. Elle est celle qui garantit que l’on s’intéresse à la personne de l’élève et que l’on recherche sa motivation pour apprendre.
Le courant de la recherche-action
En fait, le risque de se noyer est plus grand pour l’apprenant que de se brûler. Certains même espèrent bénéfice de la seule motivation, puisque d’aucuns prétendent que se consumer à lire et à écrire apprend à lire et à écrire. Mais nous devons confesser que notre expérience ne nous a jamais fait constater, hélas, cette velléité d’auto-consumation ! Aussi, attentifs certes à protéger le désir d’apprendre, nous avons dû induire, de surcroît, dans notre enseignement, des manières d’apprendre. Il y a là une prise de risque. C’est que l’objet d’apprentissage concerne la lecture et surtout l’écriture, objets délicats.
Pour la lecture, le terrain d’aventure est placé sous la protection de nos grands ainés, dont Foucambert, celui de la longue marche ; reste à se familiariser avec le pilotage du navire Défi lecture. Cela revient à prendre quelques repères nouveaux, certes. Mais dans un espace balisé. Par contre, pout l’écriture, si l’on se refuse à naviguer à vue, il faudra bien que l’on fabrique soi-même ses repères. Non pas que nous soyons les premiers aventuriers. Mais enfin, le panthéon des didacticiens de l’écriture attend ses idoles.
Devait-on pour autant renoncer à planter des jalons ? Eh bien, non ! Nous avons osé, portés par le courant irritant et irremplaçable de la recherche-action. Irritant, car sur cette piste de braconnage de la recherche fondamentale, nous osons des raccourcis tendancieux et risquons des emprunts suspects. Mais irremplaçable à la fois, car, à l’écoute respectueuse de nos pourvoyeurs de connaissances; nous traçons les chemins que nuls autres que les enseignants-praticiens ne peuvent ouvrir. En un mot, pouvons-nous apprendre à écrire sans croire qu’il est possible d’enseigner l’écriture, et donc sans feindre de croire que l’on sait ce que c’est qu’écrire ?
Le choix des supports du défi lecture
Le Défi lecture a donc une histoire et une vie, dont on espère que le lecteur assurera la longévité, en créant de nouvelles filiations. L’histoire du Défi lecture s’est d’ailleurs déjà assuré une descendance. Il a fait tache d’huile, suivant un développement plus aléatoire que programmé. Sait-on que l’innovation en France est largement assurée par des “underground”; discussions informelles, rencontres fortuites, invitations officieuses, articles sauvages, polycopiés de stage…?… Mais ces chemins de traverse de la communication pédagogique sont parsemés d’embûches, d’ellipses et de déviations ! Aussi nous a-t-il paru urgent de publier un état du Défi qui en définisse les principes philosophiques et les enjeux fondamentaux, le périmètre et le jardin.
La rédaction de cet état des lieux nous a souvent fait enrager contre l’épaisseur du temps dans le processus d’écriture. Ecrire, c’est devoir prendre patience, prendre le temps que la linéarité du discours développe les idées, mot après mot. Pourtant l’action est une, homogène, indivisible : le choix des livres dans un Défi n’a de sens que par rapport à l’utilisation pédagogique qu’on en fait. Et la rédaction des questionnaires que par rapport aux acquisitions qu’ils assurent. Mais rien à faire, pour dire l’indivisible, il faut fractionner le discours dans le temps linéaire. Décrire ce qu’est une liste d’ouvrages, puis les enjeux de son éclectisme ; décrire ce que sont les questionnaires, puis analyser les compétences d’écriture qu’ils exercent.
En conséquence, le lecteur devra la partager s’il veut apprécier le projet dans sa globalité. Il devra prendre patience et glaner au fil des pages les informations qui reconstruisent pierre à pierre l’édifice. Ce n’est pas que ce livre n’ait pas d’architecture, c’est que le choix d’exposition que nous avons adapté ne peut épouser tous les parcours singuliers de la pensée des lecteurs.
Pour conclure
Dans l’architecture du livre, il faut bien distinguer deux étages : l’un descriptif, l’autre analytique. Analyser une action ne se peut en effet concevoir sans qu’on en connaisse le dispositif. Cependant cette dichotomie est une opération à risque. On préfère errer dans le dédale du dispositif qu’affronter l’errance réflexive à laquelle invite toute démarche théorique. Pourtant, si le défi lecture échappe au gadget, c’est que l’action est pensée comme pédagogie; étayée de réflexions fondatrices sur l’éducation et la didactique. Ne pas accéder au plan conceptuel, c’est courir le risque, lorsque l’on met la main à la pâte, d’enrayer la machinerie du dispositif; pour n’avoir pas saisi la raison d’être d’un rouage. Dans le panorama dressé, chacun pourra découper les pans qui lui conviennent. L’action n’est pas à prendre telle quelle, ou à laisser. Mais que l’on découpe des idées, des analyses et des dispositions, si les circonstances l’exigent, en connaissance de cause.
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