Le sens des mots quelles étapes et hypothèses pour le découvrir
Imaginons un bébé et des personnes qui parlent près de lui. Comment peut-il découvrir le sens des mots ? Il lui faut d’abord découper des unités dans le discours entendu. Il faut aussi se représenter le monde environnant et les unités qui le constituent. Enfin, il faut élaborer des hypothèses sur le sens des mots, et que ces hypothèses se vérifient un certain nombre de fois.
Segmenter la chaîne verbale, première étape pour découvrir le sens des mots
La première tâche consiste à repérer des unités dans la chaîne verbale, à segmenter le discours. Alors qu’il n’y a pas toujours de pauses entre les mots, comme dans un texte écrit. Il est vrai que certains mots apparaissent quelquefois isolés dans le discours maternel. Ceci permet au bébé de les repérer. En fait, le tout-petit se fonde sur les variations de rythme et d’intonation dans la parole, sur les allongements et les raccourcissements de la durée des voyelles et des consonnes aux frontières entre des unités de sens, sur les variations d’intensité, notamment dans les langues à accent.
En français, les frontières entre les mots sont marquées par un allongement des dernières syllabes, et on élève l’intonation à la fin du syntagme nominal. La régularité de certaines terminaisons de mots dans la langue est également une aide à la segmentation. De nombreuses expériences montrent que les bébés sont sensibles à ces différents éléments prosodiques. Progressivement, ils vont réagir de manière sélective aux caractéristiques phonologiques de leur langue maternelle.
Découper et organiser le monde
Sans doute, découvrir le sens des mots ne suppose pas seulement un repérage de type phonologique. Il faut encore découper le monde environnant en unités et en catégories, séparer les objets des actions, et concevoir que les objets ont des limites afin de le mettre en correspondance avec des séquences sonores.
Les travaux récents sur les compétences des bébés montrent que ceux-ci ont des connaissances sur la physique des objets, sur le caractère inanimé ou animé des choses, ou sur les propriétés des êtres humains, etc. L’adulte peut bien sûr aider l’enfant dans ce découpage et cette organisation du monde, en montrant du doigt tout en parlant, en touchant les objets, en mimant, etc. Mais c’est toujours à l’enfant qu’il revient de traiter l’information, de l’intégrer et de deviner le sens des mots.
Hypothèses des enfants sur le sens des mots
Les dernières recherches sur le lexique révèlent l’existence de stratégies enfantines pour découvrir le sens des mots et permettent de dégager certains principes lexicaux pouvant expliquer le développement du vocabulaire. Pour mettre en évidence l’existence de ces principes, on utilise en général le paradigme expérimental : une tâche d’apprentissage de mots à partir d’objets ou d’items imagés. Quatre principes lexicaux sont plus particulièrement considérés : le phénomène de sur-extension, les principes de contraste et de conventionnalité, l’hypothèse de totalité ou de perspectives multiples, le principe de dénomination catégorielle.
Le phénomène de sur-extension
Le sens des mots est défini par des petites unités à savoir les traits sémantiques. Ainsi « le chat » peut être défini par les traits : à quatre pattes, petit animal, poilu, etc. Ces traits varient selon différents niveaux de généralité et sont acquis en principe du plus général au plus spécifique. Une sur-extension du mot apparaît quand l’enfant utilise le terme « chat » pour désigner tous les petits animaux à quatre pattes (y compris les chiens), et ce, tant qu’il n’a pas identifié des traits spécifiques du chat comme « miaule » par exemple, ou encore lorsqu’il appelle tous les hommes « papa », ce qui peut s’avérer plus ennuyeux en certaines circonstances…
Les déterminants de la sur-extension sont les ressemblances perceptives, fonctionnelles et les associations de contiguïté spatiale entre les objets. Pour expliquer ce phénomène, plusieurs hypothèses sont avancées. Un évitement volontaire du mot correct parce qu’il est plus difficile à prononcer; des erreurs dues à un lexique limité, à des particularités de la représentation sémantique (du sens des mots) chez les jeunes enfants ou une difficulté à utiliser spontanément un mot approprié dans le discours.
Certains auteurs pensent que les enfants connaissent souvent le mot approprié. Mais qu’il est plus difficile d’accès du fait de sa moins grande fréquence. Au cours du développement lexical, les enfants réduisent la liste initiale des exemplaires de la catégorie. Leurs représentations deviennent de plus en plus spécifiques. L’acquisition de nouveaux traits restreint progressivement l’extension du mot pour se rapprocher de l’organisation sémantique de l’adulte. En outre, tous les mots que l’enfant apprend ne donnent pas lieu à des sur-extensions. Certains appris à peu près avec le sens donné par l’adulte.
Les principes de contraste et de conventionnalité
Un mot nouveau doit contraster avec des mots déjà connus. Mais ceci est dépendant du principe de conventionnalité. Dans la mesure où l’enfant va chercher à utiliser des formes linguistiques conformes aux usages du langage. Il isole du discours le mot inconnu pour l’identifier. Puis il repère le sens potentiel selon l’appartenance à des catégories d’objets, d’actions ou d’événements. Il compare alors le sens possible aux formes linguistiques préalablement identifiées. Dans l’exemple « Sophie mitonne tendrement le déjeuner », « mitonne » est probablement une action, puisque Sophie, personnage féminin de l’histoire, en est l’auteur; quelles actions peut-on faire sur un déjeuner : le préparer, le manger… ? Le contexte permet de penser que « mitonner » doit être à peu près synonyme de « préparer ». Cette approche prédit que l’enfant inventera des mots nouveaux pour convenir aux nouveaux sens, en s’inspirant de formes linguistiques conventionnelles.
Hypothèse de totalité ou de perspectives multiples
Selon certains auteurs, les tout-petits considèrent qu’un objet ne peut avoir qu’un nom, une seule étiquette. Ils refusent par exemple le mot « animal » pour désigner le chien. C’est le principe de totalité ou d’exclusivité mutuelle. Les enfants considèrent les objets dans leur totalité. Comme étant indépendants les uns des autres, sans propriétés spécifiques, d’où leurs difficultés dans des tâches d’inclusion de classe.
Mais d’autres auteurs contestent ce principe en considérant que les enfants de 2 à 4 ans acceptent des termes multiples lors de tâches de compréhension et de production. Particulièrement lorsque les deux termes appartiennent au même champ sémantique. Et que le second hiérarchiquement relié au premier (chien animal). Le rôle de l’adulte est prépondérant pour cela. Ce en aidant l’enfant à établir des relations entre le terme familier et le non familier. Ou en focalisant son attention par des gestes de pointage en direction de l’objet à dénommer. Les stratégies des enfants se basant alors sur leur appréciation des similarités et des différences entre les objets. Par exemple, pour repérer similitudes et différences entre instruments de musique à souffle qui ont des formes assez voisines.
Le principe de dénomination catégorielle et le sens des mots
Ce principe suppose que les mots se réfèrent à une catégorie, même si les enfants ne connaissent pas encore le nom de cette catégorie. Ils interprètent un nouveau nom au niveau de base désignant l’objet dans sa totalité. Plutôt qu’une partie de l’objet ou ses attributs. Dans l’exemple « Oh ! La girafe ! », l’enfant suppose que « girafe » désigne l’animal qui bouge sur l’écran de la télévision. Plutôt que son cou ou sa course devant un véhicule qui le poursuit. Mais il s’avère que l’interprétation à un niveau hiérarchique donné dépend du contexte. Des expériences personnelles et de la catégorie de référence. Les enfants âgés de 2 ans à 4-5 ans font preuve d’une grande flexibilité pour interpréter de nouveaux noms à des niveaux hiérarchiques différents et pour découvrir le sens des mots.