Pédagogie

Les limites de la mémoire de travail

Les phénomènes de transfert sont indispensables pour confirmer l’acquisition d’une capacité. Or, le transfert exige la métacognition que le débutant a du mal à réaliser parce qu’elle est coûteuse en mémoire surtout en présence de limites de la mémoire de travail. Quant à l’expert, qui aurait la possibilité de la pratiquer, il n’en use pas. Comme s’il ne reconnaissait pas la structure commune à plusieurs problèmes, mais disposait pour chacun d’une procédure efficace spécifique et automatisée. Plusieurs chercheurs insistent sur les contraintes dues à la mémoire de travail. Ils réfléchissent en fait que la connaissance d’une structure logique ne suffit pas à en assurer la maîtrise dans des situations dont les données contextuelles diffèrent du tout au tout. Sa reconnaissance et son usage se rattachent à d’autres connaissances plus élémentaires. Dans cet article, on se propose d’analyser quelques indices pour réduire ces contraintes.

Quels facteurs influencent la mémoire

Connaissances propres à la singularité d’une situation

On peut citer l’exemple de la connaissance topographique de la ville que peut avoir un chauffeur de taxi. De telles connaissances sont peu transposables. La connaissance de la ville sera peu utile au chauffeur s’il vient exercer son métier ailleurs. Nous pouvons même nous demander si elles ne sont pas parfois un obstacle au repérage d’une identité de structure. Il semble bien que dans ce cas une connaissance intuitive des particularités de la situation vienne empêcher la reconnaissance d’une structure logique pourtant tout à fait perçue.

Quoi qu’il en soit, même quand ces connaissances individualisées de situations sont transférables. Cela exige la mise en place d’une nouvelle association entre deux domaines jusqu’alors indépendants. C’est dire que l’analogie ne peut être saisie. Et donc efficace que si le sujet domine préalablement la singularité de chacun des domaines. Rappelons que cela ne correspond pas du tout à ce que le pédagogue attend du transfert. Celui-ci n’est intéressant que si la connaissance d’une situation se transfère sur une autre non encore connue.

Maîtrise des supports de représentation

Il y a aussi les compétences qui concernent la maîtrise des supports de représentation des connaissances (langages, codes, règles d’usage). On imagine facilement ce dont il s’agit. Le code linguistique, bien sûr. Mais aussi les codes scripturaux. (L’écriture et les codes mathématique, scientifique, musical), les systèmes de signaux (code de la route, signaux des objets techniques). Les systèmes de règles (ce qui est licite et illicite dans un problème, un jeu, une activité technique ou sociale). Ce qui apparaît c’est qu’il faut que le sujet maîtrise ces codes et ces règles. Et que la mise en œuvre d’une capacité logique est subordonnée à cette maîtrise.

En effet, un même sujet s’avère incapable de reconnaître une analogie de structure entre des problèmes isomorphes. Avant qu’un entraînement soutenu lui permette de manipuler efficacement les règles du jeu dans chacune des situations. La raison de cette dépendance du repérage structural vis-à-vis de la maîtrise des règles des codes tiendrait à la hiérarchie dans le traitement des informations et aux limites de la mémoire de travail. Les informations élémentaires concernant les conventions seraient traitées en priorité. Et, faute d’automatisation, utiliseraient toute la capacité disponible de mémoire de travail. Par suite, l’identité structurale entre deux problèmes n’est admise qu’à partir du moment où la mémoire de travail est libérée de la gestion des informations contextuelles propres à chaque version de la tâche.

Importance des limites de la mémoire

Cette importance des contraintes propres à la mémoire de travail et des données contextuelles amène à critiquer le modèle piagétien. Il ne met en avant que les capacités renvoyant à des structures opératoires. Et dont l’idée implicite est que le renforcement et l’exercice de ces structures opératoires permet à l’enfant d’organiser. Et d’aborder des domaines nouveaux par le seul biais de la force assimilatrice des schèmes. Or, nous connaissons les décalages qui se produisent chez l’enfant pour mettre en œuvre ces structures opératoires dans des domaines différents. Et aussi les décalages qui peuvent se produire chez un sujet adulte pour exécuter une même opération logique quand on passe d’un contexte à un autre. Les uns et les autres tiendraient à l’importance des données de contexte qu’il faudrait maîtriser pour permettre à la mémoire de travail de traiter les autres données.

Mais, que faire des innombrables observations de Piaget qui font apparaître fréquemment une simultanéité dans l’émergence de compétences mettant en jeu la même structure logique ? Mendelsohn fait état d’études expliquant cette concomitance, non plus par la prégnance des structures opératoires. Mais par le rôle de certaines contraintes fonctionnelles. Notamment celles qui tiennent au développement de la mémoire de travail. Cette allusion est à rapprocher des mesures de capacité de celle-ci qui montrent qu’elle augmente avec l’âge. Piaget lui-même, déjà, fait remarquer incidemment l’importance des limites de la mémoire dans la détermination des stades de développement opératoire. On voit donc que le développement de la capacité de mémoire de travail conditionne la maîtrise d’opérations logiques. Mais, chez l’adulte comme chez l’enfant, ce sont les limites de cette même capacité qui obligent une gestion automatisée des informations contextuelles. Et ce pour que les données structurales puissent être traitées.

les limites de la mémoire

Importance des codes contextuels

Le transfert d’une procédure lié au constat d’une identité de structure ne va pas de soi. Par suite, on peut douter qu’il existe des capacités générales correspondant à telle ou telle opération logique, comme aurait pu le laisser penser la théorie de Piaget. L’originalité de Mendelsohn est d’insister sur les limites de la mémoire de travail. Et aussi de montrer que le transfert de capacités logiques se rattache à la maîtrise de connaissances plus élémentaires concernant la situation et les codes et règles qui y sont à l’œuvre.

En effet, les novices peuvent ne sélectionner que des traits de surface. Par exemple ceux explicitement mentionnés dans l’énoncé, directement perceptibles, liés à l’expérience quotidienne (l’expérience des objets du monde physique par exemple), non nécessairement spécifiques du domaine conceptuel en jeu. On a donc intérêt à distinguer le cas des novices de celui des experts. Si les premiers ne repèrent que les traits de surface. Les experts, eux, peuvent tout à fait saisir les traits pertinents eu égard à la stratégie de résolution correcte.

Par suite, dans cette perspective, nous pourrions penser que nous voyons à l’œuvre, chez les experts, des capacités transversales susceptibles de se transférer à tous les problèmes d’une classe. Et propres à faire reconnaître un problème nouveau comme appartenant à telle classe. Il y aurait alors une cohérence à réinterpréter les multiples exemples de non-transfert ou de transferts inadéquats. Ceci en disant qu’ils sont le fait de novices chez lesquels justement la capacité transversale propre à la classe de problèmes non encore installée. Tandis que les experts offriraient l’exemple de telles capacités en acte.

Procédures spécifiques surmontant les limites de la mémoire

Les choses ne sont peut-être pas telles. Les chercheurs font remarquer par ailleurs que l’expert se distingue par le fait qu’il possède un grand nombre de procédures de réponse spécifique associées à des problèmes particuliers. On rappelle à ce propos les travaux célèbres de Groot sur les joueurs d’échecs. Il montre que les maîtres à ce jeu disposent de configurations particulières directement associées à un mouvement. Le nombre peut être très élevé. Mais elles sont facilement accessibles dès lors qu’il a pu y avoir appariement entre le problème à résoudre et l’un des problèmes stockés en mémoire.

S’il en est ainsi, il se pourrait bien alors que les experts ne soient pas tels. Parce qu’ils détiennent des capacités transversales qu’ils peuvent mobiliser dans un grand nombre de situations nouvelles. Mais parce qu’ils connaissent un grand nombre de situations particulières. Si bien qu’ils peuvent fréquemment opérer l’appariement d’un problème nouveau avec une situation déjà rencontrée. Et pour laquelle ils possèdent une procédure. Tout semble indiquer que l’expert n’est pas celui qui sait généraliser une structure. Mais plutôt celui qui dispose d’un grand nombre de procédures spécifiques. L’expert serait tel, non pas par un pouvoir de généralisation. Mais plutôt par un pouvoir de particularisation et le transfert réussi relèverait plus du second que du premier.

Pour conclure…

D’ailleurs, on serait tenté de trouver une confirmation de cette idée. Et ce dans le fait que le novice peut se caractériser par la tendance qu’il a à trop généraliser les capacités dont il dispose. Cauzinille-Marmèche et Mathieu écrivent. « Les novices disposeraient de cadres de représentation des problèmes trop généraux. Ceux-ci ne permettent pas la prise en compte de la spécificité des différents types de problèmes, de l’ensemble des relations en jeu. » C’est la spécification qui fait réussir et la prétention à la transversalité qui pousse à l’erreur.

Dans cette optique, il est particulièrement troublant de voir que quand un problème est rattaché non pas à une classe de problèmes. Mais à un problème prototype, on rencontre encore chez le novice une propension à attribuer à celui-ci une généralité indue. Les novices ayant tendance à sur-généraliser le domaine de validité de Chaque prototype. Là encore, Vu les limites de la mémoire de travail, l’idée de transfert comme exercice d’une capacité qui pourrait devenir indépendante des contextes en lesquels elle a été acquise paraît très compromise.

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