Les apports du modèle piagétien dans l’enseignement
Il est certain que les enfants, à l’heure actuelle, sont plus aptes à passer des épreuves psychométriques que ceux qu’interrogeait Piaget. Il paraît donc hasardeux de comparer les résultats obtenus aujourd’hui à des épreuves d’inspiration piagétienne avec les données fournies par Piaget lui-même ou ses collaborateurs. Si cette dimension est à prendre en compte lors du diagnostic du niveau cognitif, elle montre que, pour l’élève, l’école est sans nul doute un lieu privilégié pour réaliser le processus assimilation-accommodation et donc pour progresser dans le développement cognitif. Cet article s’intéressera aux principaux apports du modèle piagétien dans l’enseignement.
Comment les élèves résolvent une situation nouvelle ?
Comme de nombreux autres chercheurs, nous pensons que le fait d’avoir des limites ne doit pas pour autant conduire à rejeter les apports du modèle piagétien. Il s’agit plutôt de tenir compte pédagogiquement des remises en cause et de choisir en conséquence une attitude adaptée au sein de la classe.
Il nous semble que la description du mécanisme même du développement des connaissances, à savoir le processus assimilation-accommodation, reste un point fondamental pour étayer l’action pédagogique. Il permet de mieux comprendre comment les élèves résolvent une situation nouvelle et de mieux interpréter leurs erreurs.
La description fine du développement des enfants reste un point de repère sur ce que peut effectuer un enfant et le type de performance à en attendre. Il permet également un diagnostic de son niveau de développement intellectuel. L’accent mis sur l’importance de l’action comme source de la logique et sur l’idée qu’un individu se développe en agissant et en se confrontant aux situations reste un guide de l’action pédagogique. N’oublions pas que Piaget a toujours été un défenseur des méthodes actives. Mais au-delà de ces quelques remarques, qui sont largement soulignées par de nombreux pédagogues, nous voudrions insister sur quelques points qui nous paraissent importants.
Intérêt de la grille, une des apports du modèle piagétien
Une des tâches principales d’un enseignant et, en même temps, des plus difficiles À résoudre, est la détermination de l’origine des difficultés de ses élèves. Elles sont multiples et nous sommes bien conscients que l’enseignant est contraint à une approche globale de l’apprenant. Cependant, une grille d’analyse lui est nécessaire pour appréhender ces difficultés et nous voudrions montrer en quoi la grille piagétienne peut lui être utile.
Les difficultés cognitives, même si elles sont actuellement mises en exergue, n’ont pendant longtemps guère été prises en compte. Or, si l’on veut comprendre l’origine des erreurs des apprenants, cette grille de lecture apparaît indispensable. Rappelons bien que notre propos n’est pas de ramener tous les problèmes au «cognitif», mais d’inciter les enseignants à intégrer cet éclairage dans une réflexion d’ensemble. Une telle attitude les amènera alors à se poser systématiquement des questions comme celles-ci :
- Quelles sont les opérations intellectuelles à mettre en œuvre pour résoudre le problème que je propose ?
- L’élève maîtrise-t-il ces opérations intellectuelles ?
- S’il existe un écart entre ces deux réponses, celui-ci peut-il expliquer les difficultés de l’élève?
Dans l’ordinaire d’une classe, la difficulté est moins de se poser ces questions que d’y répondre. C’est pourquoi, il doit développer la manière de mener une analyse cognitive des exercices proposés et saisir des pistes pour mener un diagnostic du niveau opératoire des apprenants. Muni de ces outils, l’enseignant pourra alors utiliser l’approche cognitive des difficultés des élèves et ainsi mieux discerner pourquoi à telle étape du problème, tel élève est en échec. Mais pour ce faire, il faudra, d’une part, qu’il connaisse bien la théorie opératoire de l’intelligence, et, d’autre part, qu’il soit conscient des limites de ce modèle.
Diagnostic opératoire des apprenants
Connaître le niveau opératoire de ses élèves est une entreprise difficile car l’hétérogénéité de ce niveau, est très marquée. Un niveau cognitif global n’a pas grand sens, même si les tests mesurant le niveau opératoire donnent encore des résultats sous la forme d’une note globale déterminant un stade. Il nous semble qu’il faille parler de profil cognitif, notion nettement mieux adaptée à l’hétérogénéité des sujets. A ce niveau, plusieurs sujets ont été testés. Chacun d’entre eux a une opération qu’il domine parfaitement. On ne peut donc pas conclure que l’échec à une des opérations soit lié à l’échec à une autre opération.
Sur le plan pédagogique, on ne peut déduire qu’un élève en difficulté dans un type de problème le sera dans un autre. La notion de profil cognitif trouve ici sa pleine justification. Sans doute, les conséquences sont essentielles. En effet, il est difficile de connaître le niveau cognitif d’un apprenant. On ne peut, en tout état de cause, se contenter des résultats obtenus à des exercices scolaires pour en déduire le niveau de l’apprenant. Il faut pouvoir effectuer une mesure à partir de tests ou d’exercices étalonnés. Si l’on désire connaître le profil cognitif des élèves, il faut s’en donner les moyens.
Puisque l’hétérogénéité est la norme, il est nécessaire d’en tenir compte dans la manière de mener sa classe. Il n’est plus acceptable de mettre des étiquettes aux élèves en pensant que, quelle que soit la situation-problème proposée, il sera en échec ou en réussite. Il faut toujours être prêt à accepter des variations dans les modes de raisonnement. C’est important de connaître les opérations intellectuelles à mettre en œuvre dans les problèmes soumis aux élèves. Cette connaissance permettant de prévoir les difficultés rencontrées et donc les remédiations possibles.
Rôle de l’individualisation, parmi les apports du modèle piagétien
La notion de conflit cognitif est un moyen efficace de gérer la complexité des situations pédagogiques qui se révèle à travers l’extraordinaire hétérogénéité cognitive des sujets. En effet, c’est bien parce que l’apprenant se heurte à une difficulté qu’il se retrouve en position de déséquilibre. C’est en tentant de surmonter ce déséquilibre qu’il progressera dans son développement cognitif. Mais, le conflit cognitif est différent pour chaque apprenant puisque le profil cognitif diffère d’un élève à l’autre. Le conflit cognitif permet une individualisation du suivi pédagogique. Ce qui ne correspond pas seulement à l’adaptation du programme au niveau des connaissances de chacun d’eux. Mais également à la prise en compte des modes de raisonnement qu’ils peuvent mobiliser. Les programmes individualisés tels qu’ils se développent par exemple dans les instituts médico-éducatifs pourraient tenir compte de l’hétérogénéité cognitive des apprenants.
Mais n’en déduisons pas pour autant la nécessité d’accentuer l’individualisation de l’enseignement. En effet, les travaux sur le conflit sociocognitif ont montré toute l’importance du rôle de «l’autre» dans le développement intellectuel. Il ne faudrait donc pas que l’importance attribuée au profil cognitif ait comme conséquence le renforcement de l’individualisation comme méthode pédagogique. Il est et doit rester un moyen de mieux connaître l’élève, sans préjuger de la méthode pédagogique la mieux adaptée à l’hétérogénéité des élèves.
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