Les instruments cognitifs requis pour acquérir les nouvelles connaissances
On n’apprend que si on a les instruments cognitifs nécessaires pour assimiler les nouvelles connaissances. Tous les courants psychologiques pourraient adhérer à cette affirmation. Mais ils divergeraient quant à leur conception des instruments cognitifs nécessaires et de la manière dont on les acquiert.
Les instruments cognitifs selon Piaget
Pour Piaget, les instruments cognitifs qui conditionnent les apprentissages sont les modes de pensée et de raisonnement qui caractérisent les différents stades du développement (sensori-moteur, préopératoire, opératoire concret et opératoire formel). Les modes de pensée de l’enfant sont très déficients par rapport à ceux de l’adulte. On ne peut donc lui enseigner que ce qui correspond à son niveau de maturité défini par rapport à ces stades. Par exemple, les enseignements de l’école élémentaire sont censés n’être accessibles qu’aux enfants ayant atteint le stade opératoire concret. Ceux du lycée ne seraient profitables qu’aux adolescents qui maîtrisent la pensée formelle. Selon Piaget, il est vain de chercher à accélérer l’évolution spontanée de l’enfant. Si la maturité nécessaire pour un apprentissage donné n’est pas atteinte, il faut le remettre à plus tard.
Les instruments cognitifs selon les théories du traitement de l’information
Les théories du traitement de l’information ont contribué à modifier profondément cette conception de l’enfant. Elles supposent que les enfants disposent du même système de traitement de l’information que les adultes. En plus, potentiellement leur mémoire de travail et leur mémoire à long terme, qui en sont les fonctions principales, sont aussi efficaces que celles de l’adulte. Trois raisons sont invoquées par ces théories pour expliquer l’infériorité de l’enfant par rapport à l’adulte dans les tâches intellectuelles :
- l’enfant manque de connaissances dans tous les domaines;
- il ne sait pas bien utiliser son système de traitement de l’information;
- il n’a pas encore acquis d’automatismes.
a- L’enfant manque de connaissances :
En ce qui concerne la première raison, les théories du traitement de l’information n’opposent pas l’enfant et l’adulte mais le novice et l’expert. Les experts sont avant tout des gens qui ont une bonne connaissance d’un domaine et c’est la qualité de ces connaissances qui leur permet de bien raisonner dans leur domaine d’expertise. Or l’enfant est un novice universel. C’est parce qu’il a très peu d’expérience et de connaissances qu’on a l’impression qu’il raisonne mal. Mais des adultes à qui on demande de raisonner dans un domaine peu familier rencontrent autant de difficultés. On peut même dire qu’en fonction des connaissances qu’il a, l’enfant raisonne somme toute très bien.
Lorsque l’enfant n’est pas performant au niveau du raisonnement, c’est le plus souvent parce qu’il n’a pas une bonne connaissance du domaine dans lequel on lui demande de raisonner. Si Piaget piège si souvent les enfants, c’est parce qu’il les oblige à raisonner dans des contextes abstraits dont ils n’ont aucune expérience, qui n’ont aucune signification pour eux. De nombreux travaux ont montré que si on donne aux problèmes piagétiens un habillage qui leur confère un sens pour les enfants, ceux-ci raisonnent beaucoup mieux. Par exemple, si on leur propose de dire ce qu’il faut faire dans un jeu vidéo pour aider un lapin à gagner une course contre un autre lapin vers un champ de laitues, ils deviennent capables de manipuler les variables temporelles de durée et de vitesse, ce dont ils ne témoignent pas du tout dans les épreuves piagétiennes classiques.
Si on donne à l’enfant l’occasion d’acquérir des connaissances, on constate que c’est un novice intelligent et qu’il n’y a pas d’obstacle développemental insurmontable.
b- l’enfant ne sait pas bien utiliser son système de traitement de l’information :
La deuxième raison qui explique l’infériorité des enfants par rapport aux adultes est qu’ils n’ont pas encore appris à bien utiliser les instruments cognitifs dont ils disposent. Ils manquent de stratégies efficaces pour les utiliser. Par exemple, les stratégies de mémorisation telles que la répétition d’une information ou l’organisation des informations par catégories (sémantiques ou autres) ne s’observe pas spontanément chez les enfants d’âge préscolaire.
c- l’enfant n’a pas encore acquis d’automatismes :
Une dernière raison est que même les opérations intellectuelles les plus simples exigent beaucoup d’attention de la part de l’enfant étant donné qu’elles sont des habiletés nouvelles. Aucun fonctionnement n’est automatisé. L’enfant épuise donc une grande partie de ses ressources attentionnelles dans le contrôle d’opérations relativement simples. Il ne peut donc gérer des problèmes qui requièrent, en plus, de traiter simultanément un grand nombre d’informations. Avec l’âge et la pratique, de nombreuses opérations mentales s’automatisent. Des ressources attentionnelles sont ainsi libérées, permettant de traiter des problèmes intellectuels plus complexes. Par exemple, en lecture, l’automatisation de l’identification des mots libère des ressources cognitives qui peuvent être affectées à la compréhension du texte.
L’école doit permettre aux élèves d’acquérir les instruments cognitifs nécessaires aux apprentissages
Même si l’on pense que le rôle de l’école est d’apprendre aux enfants à apprendre plutôt que de remplir leur tête de connaissances. Il faut avoir conscience de l’importance des connaissances à la fois pour la construction des compétences transversales de raisonnement et pour l’acquisition de nouvelles connaissances.
On n’apprend pas à raisonner dans le vide. On raisonne toujours sur un contenu. L’échec relatif des méthodes de remédiation cognitive montre bien qu’il est illusoire de penser que les méthodes acquises dans un contexte sémantiquement très pauvre (des exercices sur du matériel purement formel) sont facilement transférables aux contextes riches en contenu. Il s’ensuit que c’est dans le cadre de l’acquisition des connaissances disciplinaires que l’on a le plus de chances de pouvoir faire acquérir aux élèves des compétences cognitives réutilisables, d’abord dans des contextes à la fois voisins et variés puis, par extension de proche en proche dans des contextes de plus en plus éloignés jusqu’à la construction de compétences véritablement transversales.
En ce qui concerne l’acquisition de nouvelles connaissances, les connaissances de départ de l’élève sont très importantes car l’apprentissage ne peut s’effectuer que si les nouvelles informations peuvent être rattachées à des connaissances antérieures. Selon Ausubel, « le plus important des facteurs influençant l’apprentissage c’est ce que l’apprenant sait déjà ». Souvent, les élèves ne comprennent pas et ne retiennent pas les informations données par les enseignants parce qu’ils ont au départ trop peu de connaissances sur le sujet. Pour ces raisons, faire acquérir des connaissances solides aux élèves dans des domaines variés, c’est-à-dire les aider à meubler leur mémoire à long terme avec des réseaux de concepts bien construits, bien hiérarchisés reste une fonction essentielle de l’école.
L’école doit permettre de développer des stratégies cognitives et métacognitives
Enseigner à l’élève à utiliser ses instruments cognitifs est une autre fonction importante de l’école. On a pris conscience très récemment de l’importance de la méthodologie et de la métacognition. La métacognition désigne la connaissance que le sujet a de ses stratégies cognitives et le contrôle qu’il exerce sur elles. L’activité métacognitive revêt des aspects très divers tels que :
- la gestion de la compréhension (savoir quand on comprend et quand on ne comprend pas, savoir déterminer pourquoi on ne comprend pas et recourir aux aides adéquates);
- la conscience des exigences d’une tâche et des stratégies qui permettent de la mener à bien (par exemple : comment faut-il faire pour apprendre et retenir cette poésie ? Comment puis-je savoir que je la sais ?);
- la gestion du déroulement de l’activité : sa planification (comment vais-je m’y prendre ?), le contrôle de son exécution (est-ce que je vais bien dans la bonne direction ?) et l’autoévaluation (ai-je atteint le but fixé ?).
L’activité métacognitive est une variable qui différencie fortement les bons éléments des élèves en difficulté. Celui en difficulté non seulement ne connaît pas la matière mais de plus, très souvent, il ne sait pas qu’il ne sait pas.
Les interventions visant à améliorer l’activité métacognitive telles qu’expliquer comment on a fait pour apprendre une leçon ou résoudre un problème, comparer avec les autres stratégies utilisées par les camarades, sont efficaces car elles provoquent chez l’élève une modification dans sa façon d’aborder les apprentissages. Les activités métacognitives en classe, ne doivent pas être cantonnées à l’étude dirigée. Mais, elles doivent intervenir de façon très fréquente tout au long de la journée à propos des différentes activités pour donner aux élèves l’habitude de prendre conscience de leur fonctionnement intellectuel, de l’évaluer et de chercher à l’améliorer.
L’école doit assurer l’automatisation des compétences de base
Une troisième fonction importante de l’école consiste à donner aux enfants suffisamment d’occasions de pratiquer les habiletés à acquérir pour qu’ils puissent développer des automatismes de base. Les activités que l’on pratique en classe sont des activités complexes, c’est-à-dire qui sont constituées d’habiletés aux composantes multiples. Les capacités d’attention et de traitement des informations étant limitées, pour pouvoir mener à bien de telles tâches, il faut qu’une partie des sous-tâches puisse être exécutée de façon automatique afin de libérer l’attention pour les tâches de plus haut niveau. Il est, par exemple, impossible qu’un enfant qui anone péniblement et dont toutes les ressources cognitives sont mobilisées par le déchiffrage, comprenne le sens du texte qu’il lit.
Un grand nombre d’adolescents sont en échec scolaire non pas parce qu’ils ne disposent pas de mécanismes cognitifs de haut niveau (raisonnement formel hypothético-déductif de Piaget) mais parce qu’ils sont gênés dans n’importe quelle tâche par le manque d’automatisation des savoir-faire de base. Cela ne leur laisse aucune possibilité de montrer leurs savoir-faire de haut niveau.
Or, l’automatisation requiert des répétitions nombreuses et étalées sur une longue période d’apprentissage. Une telle idée n’a pas bonne presse actuellement chez les enseignants qui ont tendance à penser que lorsque l’élève a compris, cela est suffisant. Ils redoutent l’ennui auquel donnent lieu les tâches répétitives. Mais affirmer que l’apprentissage ne va pas sans un certain nombre de répétitions ou plutôt de réactivations ne signifie pas que l’on doive soumettre les élèves inlassablement aux mêmes exercices. L’enseignant dispose d’un grand nombre de dispositifs pédagogiques différents (situations de groupe, situations d’apprentissage individuel, situations ludiques, supports audiovisuels, informatiques…) permettant de viser le même objectif pédagogique dans le cadre de tâches très différentes.