La pédagogie survient, à notre sens, quand nous reconnaissons la résistance de l’autre à nos pratiques. Cette résistance peut prendre de multiples formes : la persistance de ses représentations en dépit de toutes nos explications, la divergence de ses intérêts ou de ses préoccupations en dépit de toute motivation, la souffrance de ses incompréhensions en dépit de tous nos efforts de clarté. Quand cette résistance est reconnue, on peut décider de l’ignorer ou de la briser, d’exclure; de marginaliser la liberté de l’autre par une manipulation habile. Mais on peut aussi décider de reconsidérer notre propre rapport au savoir, nos méthodes d’enseignement, le statut de nos dispositifs. C’est alors qu’il devient nécessaire de faire appel à notre inventivité. Et qu’il peut être utile de puiser dans nos réservoirs méthodologiques des savoirs pédagogiques.
Le projet d’enseigner
En fait, nous ne nions d’aucune manière le projet d’enseigner. Nous ne récusons pas, non plus, les trois étapes nécessaires de ce projet : l’organisation des savoirs selon l’ordre des raisons, la programmation qui négocie les contenus de tout enseignement en fonction d’un ensemble de contraintes et enfin la planification qui organise une séquence de travail en précisant les objectifs généraux et spécifiques, les situations d’apprentissage, leurs supports et les méthodes d’enseignement.
Cette logique de l’enseignement reste essentielle et il n’est pas question de prétendre s’en passer; sauf à promouvoir l’improvisation permanente qui ne peut prétendre porter quelques fruits que dans le cas où elle est mise en œuvre par quelques équilibristes de génie. Nous ne voulons d’aucune manière renoncer à cette logique-là. Nous disons simplement qu’elle peut basculer facilement dans le délire de celui qui finit par nier toute autre intelligence que la sienne.
En effet, nous croyons qu’il convient que la logique d’enseignement se heurte, de temps en temps, à la logique d’apprentissage, celle d’élèves concrets ; où l’ordre n’est pas celui de la reconstruction a posteriori de connaissances élaborées ; mais bien celui du tâtonnement et de la découverte à travers des méthodes d’enseignement de ce que l’on ne reconstruira que plus tard. Celle d’élèves en situation qui doivent décider librement d’apprendre et que l’on ne peut contraindre à cela. Car, sauf pour le cas des élèves ayant parfaitement intégré le métier d’élève, on ne décide pas d’apprendre parce que c’est au programme. On n’apprend que très rarement de la manière prévue par le maître. Il y a là une autre logique que celle de l’enseignement. Une logique très largement irréductible à la première. Et entre les deux, qui peut ressembler, parfois, à une transmission mais qui s’éprouve, le plus souvent, à travers une résistance.
La transmission entre l’apprentissage et l’enseignement
La transmission entre ces deux logiques hétérogènes n’obéit à aucune règle définie une bonne fois pour toutes et fonctionner dans toutes les situations. Les moyens utilisés pour l’effectuer et le langage en particulier peuvent même; paradoxalement être tout à la fois supports de cette transmission et facteurs de résistance à celle-ci. Sans doute faut-il même qu’ils soient, à la fois, l’un et l’autre; et que l’attention du maître à cette ambivalence soit l’objet d’un travail particulier qui est le travail pédagogique.
Un travail pédagogique qui n’écarte ni la maîtrise scientifique des contenus enseignés, ni la planification didactique; ni l’effort pour créer de nouvelles méthodes d’enseignement, ni même un travail d’évaluation rigoureuse des acquis. Mais un travail pédagogique qui prenne le temps d’explorer cet « entre-deux ». Exploration qui est, sans doute, un autre nom pour désigner ce qui est nommé la pédagogie différenciée. Exploration qui permet que, parfois, une rencontre se produise. Et aussi, peut-être un partage des savoirs, c’est-à-dire une modeste avancée de l’humain dans la classe.
Les moments pédagogiques et les méthodes d’enseignement
Certes, le pédagogue se trouve, tout à la fois, devant des situations spécifiques nommées des moments pédagogiques et devant une panoplie de moyens de toutes sortes qui devraient lui permettre de faire face à ces moments. Et d’en faire des occasions de partage des savoirs et d’émergence de sujets libres inscrits dans une socialité solidaire.
Rien de très original après tout. Rien qui ne soit déjà, sinon connu, du moins pressenti par beaucoup d’enseignants, de formateurs ou d’éducateurs. Et pourtant, il nous faut comprendre pourquoi cette démarche reste, pour l’essentiel, lettre morte. Pourquoi il ne suffit pas ici de savoir ce qu’il faut faire pour le faire. Et pourquoi il est si difficile de mettre en application ses convictions pédagogiques.
Enfin, il faut sans doute examiner les conditions particulières qui rendent les savoirs pédagogiques particulièrement difficiles à mettre en œuvre aujourd’hui. Et s’interroger, dans un deuxième temps, sur les conséquences que l’on peut en tirer; en particulier en ce qui concerne la formation des enseignants et des éducateurs.
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