Pédagogie

L’apprentissage de la lecture le débat infini sur les méthodes

Jamais dans le passé l’apprentissage de la lecture n’aurait suscité un débat si important ni surtout si public. C’est que, de nos jours, la maîtrise de la lecture a une importance tout à fait autre que celle qu’elle avait auparavant, à la fois beaucoup plus grande et très différente. Autrefois, savoir lire était essentiellement une sorte de luxe, favorisait un changement de classe sociale. La vie quotidienne s’en passait fort bien, et l’on a tous, dans sa famille, des aïeux qui ont connu une vie bien insérée dans la société sans savoir ni lire ni écrire. Ce serait impossible aujourd’hui ! Les moindres tâches de la vie de tous les jours exigent le recours à l’écrit : faire des achats, faire cuire des aliments, utiliser une voiture, une machine, un ordinateur… Tout cela requiert des activités de lectures, plus sophistiquées les unes que les autres, et toutes différentes.

Pendant très longtemps, on a cru qu’il y avait deux façons d’enseigner la lecture: la méthode traditionnelle, syllabique, et la méthode globale considérée comme la responsable de tous les maux. Elle ressort périodiquement lorsque l’on ne sait plus qui accuser ! En fait, cette vision des choses est plus que discutable, et ne correspond plus du tout à la situation d’aujourd’hui. Il est toutefois nécessaire de donner quelques explications sur ces deux méthodes.

la lecture institutrice

La méthode d’apprentissage de la lecture dite « traditionnelle »

Précisons qu’on la nomme également « syllabique » car elle passe nécessairement par la reconnaissance et la production de syllabes. On la nomme aussi « synthétique » car elle procède par synthèse, allant de l’apprentissage des lettres à la production de syllabes puis de mots et enfin de phrases. C’est la plus ancienne façon d’apprendre à lire. Il n’est peut-être pas inutile de savoir que, jusqu’au XVII° siècle, on prévoyait quatre années d’apprentissage. Une pour les lettres, une pour les syllabes, une pour les mots et une, enfin, pour les phrases !

Selon Touyarot : « Cet apprentissage aride était considéré comme une bonne école du caractère. Il confirmait les évidences morales selon lesquelles tout plaisir s’achète et toute persévérance trouve un jour sa récompense ». Il n’est sans doute pas ridicule de penser qu’il y avait d’autres raisons. Entre autres le fait qu’un apprentissage aussi rebutant était de nature à décourager ceux qu’il n’était pas opportun de voir accéder à la connaissance. Apprentissage de la lecture

C’est à partir du XVIIIe siècle seulement que les critiques, pourtant déjà anciennes, ont pu commencer à se faire entendre. D’après un texte de Nicolas Adam : « Lorsque vous voulez faire connaitre un objet à un enfant, par exemple, un habit. Vous êtes-vous jamais avisé de montrer séparément les parements, puis les manches, enfin les devants, les poches, les boutons ? Non sans doute, vous lui dites c’est un habit. C’est ainsi que les enfants apprennent à parler auprès de leur nourrice. Pourquoi ne pas faire la même chose pour leur apprendre à lire. » . Ce n’était peut-être pas déjà la méthode globale. Mais l’essentiel y était, et au nom d’un bon sens qui n’échappe à personne !

La méthode globale

Il faudra attendre le début du XXe siècle pour qu’un médecin belge, Ovide Decroly, psychologue et éducateur, fonde, à Bruxelles, une école pour enfants en difficultés. Entre autres innovations (c’est à lui que l’on doit la notion de « centres d’intérêt » et celle de « jeux éducatifs »), il y proposera une autre méthode d’apprentissage de la lecture mettant en jeu ce qu’il appelle la « fonction de globalisation ».

Au lieu de partir de la lettre, il propose de partir de phrases, dont l’enfant reconnaît globalement le « dessin », et surtout dont il comprend le sens. Peu à peu, on lui apprend à distinguer les mots, par ressemblances et différences, puis les syllabes et les lettres. Précisons que cette méthode était, chez Decroly, associée à toute une philosophie de l’enfant, largement inspirée de Rousseau. Ce dernier tentait de ressaisir au plus profond l’élan spontané qui porte les enfants à s’intéresser à leur milieu, à communiquer leurs observations. Si bien que l’apprentissage de la lecture se trouvait inséparable des activités d’expression, d’observation, de construction.

Ainsi défini, un tel programme, même s’il appelle à la lumière des connaissances actuelles quelques réserves, ne saurait mériter l’anathème dont il est l’objet. En fait, il a rarement été appliqué en France. Mais, surtout, les formes qu’il a prises sont assez éloignées de la philosophie decrolyenne. Les manuels qui se réclament de la méthode globale (et c’est déjà un contresens, puisque Decroly n’en utilisait pas) proposent essentiellement des mots comme points de départ, qu’il faut ensuite analyser en syllabes, puis en lettres. Notons au passage que la compréhension arrive à la fin d’un processus de prononciation, et de façon totalement magique. Il faut comprendre dès que l’on a prononcé, ça doit venir tout seul. Nous pressentons ici une cause importante d’échec en lecture.

apprentissage de la lecture

La méthode « mixte », une réponse de Normand

La plupart des manuels en vigueur dans les classes se présentent comme des méthodes mixtes. De quoi s’agit-il ? D’un milieu prétendu juste entre l’une et l’autre ? Pas du tout ! En fait, c’est tout simplement des méthodes traditionnelles, avec quelques mots appris globalement. Il est vrai qu’avec le syllabique, les mots clés de la langue française ne sont pas près de pouvoir être utilisés, à commencer par la forme « est », tout de même indispensable au moindre énoncé un peu signifiant. Mais on peut en dire autant de la plupart des verbes, des conjonctions et du vocabulaire de tous les jours ! Apprentissage de la lecture

Cette solution que ne fonde aucune théorie, ni psychologique ni linguistique, est pourtant la grande gagnante dans les habitudes scolaires. Pour ma part, j’inclinerais à penser qu’il s’agit surtout de la peur d’une option nette. Et que la vraie raison est dans une formation qui n’a pas su ou pas voulu insuffler aux apprentis enseignants l’exigence de bases théoriques explicites et solides. Une chose est certaine : la méthode mixte ne saurait se targuer d’en être une, c’est l’empirisme absolu. Et ma plus grande surprise est de voir que les parents, si légitimement soucieux quant à la qualité du travail scolaire, puissent voir sans inquiétude des objets aussi peu scientifiques servir d’appuis aux apprentissages de leurs enfants !

En résumé, on voit donc que la querelle des méthodes d’apprentissage de la lecture n’est vraiment pas l’essentiel du problème. D’une part, la vraie méthode globale n’existe pratiquement pas en France, si ce n’est dans les classes Freinet. D’autre part, ce qui existe n’est qu’un amalgame assez grossier des méthodes traditionnelles.

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