Education

Verbaliser sa démarche permet de mieux comprendre ses difficultés

L’étude des stratégies de résolution des élèves et la connaissance détaillée du processus qu’ils emploient sont indispensables pour comprendre leur manière de résoudre un problème. Divers supports coexistent pour nous aider à connaître la démarche d’un élève. Nous pouvons en effet nous appuyer sur des observables : les comportements, l’ordre des actions…, sur des traces : brouillons, ratures, réponses intermédiaires pouvant fournir des indications sur la démarche. Cependant leur interprétation s’avère souvent délicate. Toutefois, inviter l’apprenant à verbaliser sa démarche s’avère la source d’informations la plus riche et accessible. Néanmoins, sa difficulté se situe au niveau de sa mise en œuvre surtout avec certains élèves.

la stratégie de résolution du problème en education

Connaître la stratégie de résolution du problème

La simple observation étant très largement insuffisante, il est indispensable d’interroger les élèves. Eux seuls peuvent nous informer comment ils ont abouti à la solution. Cependant, la restitution du cheminement des apprenants n’est pas chose aisée. Un questionnement sur ce thème aboutit fréquemment à des silences ou à des réponses du type «j’ai fait cela dans ma tête ». Il leur paraît le plus souvent délicat, voire impossible de retrouver les étapes par lesquelles ils sont passés. Si les traces écrites peuvent nous guider pour faire des hypothèses, il ne faut en aucun cas s’en contenter. Une bonne réponse n’est du reste pas nécessairement gage d’un raisonnement adéquat. L’écart entre performance et compétence est fréquent.

Il est donc nécessaire de se donner les moyens d’interpeller les apprenants, que leur solution au problème posé soit exacte ou non. C’est pourquoi l’entretien d’explicitation représente une solution pertinente pour résoudre Cette difficulté. Il permet en effet la verbalisation de l’action. Il met en évidence les raisonnements élaborés, les buts poursuivis, les savoirs utilisés. Et il consiste, après l’exécution d’une tâche bien précise, à faire verbaliser le sujet sur cette tâche, au cours d’un entretien.

Verbaliser sa démarche n’est pas aisée pour l’apprenant

Il faut savoir que verbaliser son action n’est pas une activité aisée car :

  • Toute action contient une part d’implicite pour celui qui l’exécute. L’objet même de l’entretien d’explicitation est de rendre explicite cette part d’implicite.
  • Décrire de manière détaillée son action est un acte inhabituel, la tendance spontanée est plutôt de parler en termes généraux. Il faudra donc une aide pour atteindre la verbalisation.
  • L’aide à la verbalisation est difficile. Vermersch précise que les questions qui viennent spontanément à l’esprit sont justement celles qui risquent de créer les pires obstacles à la verbalisation. Ainsi, si vous demandez à un enfant pourquoi il a effectué telle action, il cherchera à se justifier et non à décrire comment il a réalisé cette action.
  • Le questionnement se déroulant après l’action, se pose le problème de la qualité de la restitution et de l’écart éventuel entre la réalité des faits et leur verbalisation.

Ces difficultés nous montrent que connaître le processus de résolution d’un apprenant est chose délicate, qu’il ne suffit pas d’interroger un élève pour le connaître et qu’une méthode précise s’avère nécessaire.

Objectifs de l’entretien d’explicitation

Nous décrirons l’entretien d’explicitation car il nous paraît un moyen d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Mieux comprendre les modes de raisonnement que les élèves mettent réellement en œuvre face à une situation nouvelle. Les buts assignés à l’entretien d’explicitation sont les suivants :

  • Aider l’interviewer à s’informer. Par exemple comprendre les erreurs de l’apprenant afin de mettre en place une remédiation. L’entretien s’arrête lorsque l’interviewer pense avoir compris la source de l’erreur.
  • Aider l’élève à s’auto-informer. C’est une démarche vers la prise de conscience. Verbaliser sa démarche permet à l’élève de mieux comprendre ses difficultés. Cette démarche est valorisée dans les remédiations cognitives.
  • Apprendre à l’élève à s’auto-informer. C’est lui faire prendre conscience de la façon dont il met à jour ses propres démarches. Le but est de lui faire retracer comment il décrit une action, démarche supérieure à la simple auto-information car elle correspond à l’utilisation de la métacognition. Il faut bien différencier cet objectif du précédent qui était centré sur «comment je fais telle action». A ce niveau, il s’agit plutôt de savoir « comment je sais que je sais », donc d’une réflexion sur les méthodes d’apprentissage.

Déroulement de l’entretien

Sans entrer dans les détails techniques permettant de mener à bien un tel entretien, nous allons reprendre les points les plus importants en lien avec l’analyse cognitive de la tâche. Puisque le sujet verbalise son action à partir d’une situation a posteriori, il faut lui permettre de revivre cette situation, d’accéder non seulement à l’action mais au vécu de celle-ci. On va le mettre en évocation, de telle sorte que la situation passée lui soit plus présente que la situation actuelle et qu’il attache plus d’importance à la situation évoquée qu’à la relation avec l’enseignant. On amène le sujet à passer de connaissances pré-réfléchies à une pensée réfléchie. C’est-à-dire d’un vécu pré-réfléchi non conscientisé à une verbalisation débouchant sur des connaissances abstraites. On passera d’une conscience non consciente d’elle-même à une conscience réfléchie.

Pour savoir si l’apprenant est en évocation, des indices essentiellement non verbaux sont à prendre en compte : décrochage du regard, ralentissement du rythme de la parole, rapport étroit entre ce qui est verbalisé et sa traduction non verbale. Cette mise en évocation est difficile car le sujet, pour réussir son action, n’a pas besoin d’avoir conscience des moyens de sa réussite. Si on interroge un élève sur le comment de son action, il répond le plus souvent : « je ne sais pas » ou il reste silencieux, car il s’en tient à une connaissance pré-réfléchie de son action. On retrouve ici la différence faite par Piaget entre réussir et comprendre.

Il est remarquable que, dans l’entretien d’explicitation, l’interviewé affirme au départ ne pas savoir comment il a réalisé telle action, ne pas connaître les détails de celle-ci et être incapable de les retrouver. Cependant, par la suite, il décrira cette action de manière minutieuse.

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Conditions de mise en œuvre pour verbaliser sa démarche

Pour atteindre cet objectif, il importe de respecter les conditions de mise en œuvre qui sont d’autant plus importantes que nous désirons connaître de manière détaillée le processus de résolution des élèves.

En premier lieu, il faut établir un contrat de communication afin que le sujet, qui va découvrir des éléments dont il n’avait pas conscience, accepte de se dévoiler, de livrer sa pensée privée. Même s’il est vrai que, dans notre cas, prendre conscience de son cheminement, pour au besoin le modifier, ne peut guère apparaître comme dangereux, l’accord du sujet est toujours essentiel pour qu’il entre dans le détail de sa manière de faire. Et cela d’autant plus que le rapport maître-élève rend la relation déséquilibrée.

En second lieu, Le questionnement doit exclure toute demande directe d’explication. La question «Pourquoi tu as fait ceci ?» est à proscrire, au bénéfice de « Comment as-tu fait ?». De manière plus générale, il faut éviter toutes questions ne portant pas sur des observables, puisque l’objectif est de recueillir des faits et non des justifications de ces faits. Le déroulement temporel de l’action est une donnée intéressante à connaître, l’ordre précis des étapes permettant ensuite l’analyse de la tâche. Des questions du type « Par quoi as-tu commencé?» sont indispensables.

La qualité du guidage est fondamentale. Ne pas canaliser la verbalisation revient à ne pas guider le sujet dans son explicitation. Il faut donc être non directif sur le contenu verbalisé car il appartient en propre à l’apprenant. Mais à l’opposé, être directif dans le domaine de la verbalisation, ne pas hésiter à interrompre l’élève si on s’aperçoit qu’il n’est plus en train de verbaliser sa démarche.

La fiabilité des résultats de la verbalisation

Les résultats obtenus à partir d’entretiens pour verbaliser sa démarche sont suffisamment performants pour promouvoir leur utilisation. Néanmoins, conduire un tel type d’entretien n’est pas facile. Il faut lire en détail les conseils donnés pour le mener à bien. Mais il nous paraît un moyen privilégié pour mieux comprendre le fonctionnement des élèves face à une tâche scolaire.

Les entretiens d’explicitation permettent sans aucun doute de dépasser les silences pour atteindre le déroulement réel de l’action analysée. Ils peuvent être pratiqués avec des publics divers (depuis les élèves du primaire jusqu’aux adultes) et sur des activités très différentes. Nous avons privilégié les exercices scolaires, mais des activités professionnelles ou des apprentissages gestuels peuvent faire l’objet d’un entretien d’explicitation. Ses limites se confondent avec les limites du conscientisable.

Ici se pose le problème de la véracité des faits recueillis. La verbalisation entraîne-t-elle un écart entre la description des faits et les faits eux-mêmes ? Ne recueille-t-on pas les représentations des sujets? Il est difficile de trancher dans ce débat, mais les expériences montrent que si le sujet est en évocation, il retrouve dans le détail le cheminement qu’il a suivi.

Pour avancer dans ce problème, des chercheurs ont enregistré une situation puis ont effectué un entretien d’explicitation. Ils y ont retrouvé la très grande majorité des informations qui pouvaient être perçues sur la bande. Certes, sans trancher de manière définitive, il semble bien que les étapes décrites par un élève lors d’un entretien de ce type sont suffisamment fiables par rapport à notre objet. Elles nous permettent de saisir si les opérations intellectuelles que nous avons déterminées a priori pour réussir la tâche sont bien celles utilisées par l’apprenant et si le cheminement des étapes est correct.

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