La difficulté cognitive et l’échec scolaire
Ces deux concepts ne sont pas équivalents mais ils ont en commun une même préoccupation cognitive. L’échec scolaire est un constat. II témoigne d’un état de dysfonctionnement, très souvent général, d’un apprenant face aux apprentissages scolaires. L’aspect cognitif n’y est pas isolable des autres même s’il constitue en milieu scolaire le facteur déterminant. La difficulté cognitive est à la fois un constat et un symptôme. Sa catégorisation apparaît plus aisée dans la mesure où son champ est strictement limité ou cognitif: origine, causes, manifestations, traitement éventuel…
L’échec scolaire
C’est une fracture ouverte, une rupture de la dynamique d’apprentissage. Bloqué, l’apprenant cesse de progresser puis souvent régresse. Il perd rapidement la maîtrise de ses acquis les plus fragiles et s’accroche désespérément à quelques réponses cognitives, apparues efficaces dans certains contextes mais qui, utilisées systématiquement et sans discernement, vont se transformer en routines inopérantes dans de nombreux cas. Ses insuccès se multiplient, son retard par rapport au groupe croît, son angoisse grandit et son échec s’amplifie.
Ce qui semble donc caractériser l’échec scolaire au strict plan cognitif, c’est la stagnation d’abord, la régression ensuite. Chez l’enfant en échec scolaire, la pente naturelle à la curiosité intellectuelle, à l’investigation hardie du savoir, cède le pas à un progressif repli sur soi, au refus de s’investir dans la plupart des activités scolaires, au refus à priori de la nouveauté. Plus ou moins rapidement alors, cette non-dynamique rigidifie les attitudes et les comportements mentaux du sujet au point, dans les cas extrêmes, de rendre impossible toute nouvelle acquisition scolaire.
La plupart des enfants en échec scolaire semblent avoir cessé leur marche en avant. Ils donnent l’impression de marquer le pas, quelquefois de s’enliser, de s’enfoncer pratiquement sur place. Immobilisme, diminution de l’adaptabilité, mobilisation de soi de plus en plus difficile et fugace face aux apprentissages scolaires, repli sur soi puis régression. Tels sont les principaux et les plus fréquents indicateurs de l’installation d’un enfant dans l’échec scolaire.
La difficulté cognitive
Contrairement à l’échec scolaire, une difficulté cognitive n’est pas un arrêt du processus d’apprentissage. Il n’y a ni interruption, ni rupture mêmes provisoires, mais ralentissement visible, plus ou moins marqué. L’apprenant bute sur un obstacle. Sa marche en avant prend une allure saccadée. Surpris, parfois déstabilisé, il doit se ressaisir et, pour cela, prendre le Temps d’analyser la difficulté et rechercher les moyens de la surmonter.
Ici l’obstacle n’interrompt pas totalement la marche en avant de l’apprenant. Il la ralentit momentanément et le contraint parfois à modifier sa direction, voire même à opérer un détour. Il allonge et rend plus pénible souvent le parcours. Mais la dynamique de l’apprentissage est globalement préservée.
En termes d’attitudes et de comportements, c’est l’action questionnante, la recherche active, la volonté d’avancer, l’espoir de trouver et de réussir qui continuent à prévaloir et maintiennent le sujet mobilisé. Attitudes et comportements exactement inverses de ceux qui prévalent dans la situation d’échec scolaire avéré.
Où s’arrête la difficulté cognitive, où commence l’échec scolaire ?
Il n’y a pas, d’un côté, parfaitement délimité et repérable, l’échec scolaire et de l’autre, tout aussi aisément caractérisable et identifiable, la pure et simple difficulté scolaire.
En effet, on ne peut nier que le risque potentiel d’échec scolaire se profile dès qu’il y a difficulté dans le déroulement de l’apprentissage. Or, là surgit un problème majeur dans la compréhension du processus d’apprentissage. Pour beaucoup, la croyance dominante est qu’il s’agit d’un processus ininterrompu et que les enfants qui réussissent apprennent sans cesse. Ainsi, les temps morts, les ralentissements dans la construction du savoir sont des signes inquiétants, annonciateurs de l’échec.
Cette vision erronée de l’apprentissage conduit à assimiler une situation passagère, celle de difficulté cognitive, à un début d’échec scolaire. Ainsi, on dramatise inutilement et dangereusement ce qui n’était que conjoncturel et devait être considéré comme un aléa normal dans l’apprentissage, à surveiller de près simplement.
Un fléchissement passager de rythme est normal dans un parcours d’apprentissage. Il s’explique par le fait que l’apprenant est aux prises avec une connaissance soit :
- nouvelle pour lui, et il lui faut réaliser alors une sorte de saut dans l’inconnu,
- plus importante et difficile à structurer qu’il ne le prévoyait, et il lui faut se mobiliser beaucoup plus activement qu’il ne l’a fait,
- soit encore qui remet profondément en question ses conceptions antérieures et il est alors saisi par une sorte d’angoisse qui le paralyse passagèrement.
Le temps d’adaptation et de réaction efficace est variable. Il dépend à la fois de l’apprenant et du contexte d’apprentissage. En effet, la marge peut être faible entre ce qui n’aurait dû être qu’une péripétie, sans conséquence majeure sur l’apprentissage et ce qui, par incompréhension, inattention, manque de métier quelquefois des enseignants, peut se développer et installer un véritable échec.
Qu’appelons-nous, plus précisément, difficulté cognitive ?
Etymologiquement, le terme difficulté évoque quelque chose de pénible, de désagréable, de malaise, soit à réaliser, soit à vivre, soit les deux à la fois mais à des degrés d’intensité et à des niveaux de conscience variables.
Ne pas réaliser une tâche, un apprentissage dans des temps jugés normaux ou considérés comme habituels par le sujet lui-même, se sentir soudainement ou progressivement bloqué, sans parvenir à identifier la cause, percevoir confusément qu’il se passe quelque chose qu’on ne maîtrise pas et qui fait qu’on ne comprend pas comme à l’ordinaire.
Voilà des phénomènes qui interrogent et peuvent aller jusqu’à inquiéter l’apprenant et son entourage.
Rencontrer une difficulté en cours d’apprentissage c’est rencontrer un obstacle et ressentir une certaine gêne intellectuelle : nous sommes freinés et malgré nous, nous n’avançons plus. Mis en déséquilibre au plan cognitif, nous devons, pour faire face efficacement, ne plus faire appel aux stratégies coutumières mais, au contraire, en expérimenter de nouvelles, à partir de nouvelles hypothèses cognitives.
On le comprend aisément cette situation délicate, à risques, va être vécue différemment selon les apprenants, en fonction principalement de la plasticité de leur système de représentation. C’est-à-dire en fonction, d’une part de leur capacité d’adaptation et d’intégration de la nouveauté et, d’autre part, de leur rapidité d’opérationnalisation cognitive c’est-à-dire de la vitesse et de la justesse avec lesquelles ils opèrent leurs choix stratégiques et cognitifs et les mettent en œuvre.
Situation sensible mais nullement dramatique puisqu’inhérente à tout apprentissage mais, évidemment, d’un retentissement psychologique et d’une résonance émotionnelle, variables selon les sujets.
Les facteurs affectifs risquent d’aggraver la situation
On peut d’ailleurs penser que ce sont davantage les facteurs affectifs -ici conséquences et non causes du désarroi de l’apprenant- qui risquent d’aggraver la situation. En effet, souvent, l’apprenant en difficulté cognitive inattendue manifeste un certain trouble qui se traduit par une suractivité fébrile, parfois désordonnée qui peut augmenter encore la difficulté et qui est le témoignage d’un certain déséquilibre qui, cognitif d’abord, affectif ensuite, est devenu progressivement affectif et cognitif.
Notons, au passage, l’intérêt que revêtira ici, dans une perspective d’aide et de remédiation, la connaissance des styles cognitifs des apprenants, notamment de la dimension dépendance-indépendance par rapport au champ.
Être en difficulté cognitive, finalement, c’est ne pas parvenir à maîtriser une connaissance donnée dans un délai dont l’encadrement se situerait entre l’habituel et le raisonnable.
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